Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/958

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais dans l’incertitude où on est à cet égard, le plus sage serait de convoquer les Chambres à la date habituelle de leur réunion. Attendre davantage est faire naître une espérance qui risque fort de ne pas se réaliser et qui, si elle ne se réalise pas, deviendra une difficulté de plus. La mauvaise humeur n’en sera que plus générale, et le gouvernement n’y trouvera aucun profit.


Il y a quinze jours, la guerre nous apparaissait inévitable entre l’Italie et la Turquie, la première voulant la Tripolitaine et la seconde ne pouvant pas en faire le sacrifice bénévole. La guerre a été, en effet, déclarée correctement entre les deux pays, mais il ne semble pas que, soit d’un côté, soit de l’autre, on ait grande envie de la faire à outrance, et elle a été réduite jusqu’ici à un minimum assez rare dans l’histoire. Il faut d’ailleurs s’en réjouir pour l’humanité. L’Italie applique volontiers à la guerre la théorie du moindre effort ; elle a traité les défenses de Tripoli et de Benghazi avec les précautions dues à des objets qui doivent vous appartenir demain. Quant aux Turcs, leur malheur est trop grand pour que nous n’ayons pas pour eux les ménagemens qu’ils méritent. La France a toujours eu pour eux des sentimens d’amitié que leur récente tentative de constituer un gouvernement parlementaire et libéral n’a pu que développer, bien que l’entreprise n’ait pas eu encore tout le succès que nous aurions désiré. Dans les circonstances actuelles, les Turcs sont à plaindre. Ils n’avaient rien prévu, rien préparé dans la Tripolitaine et l’apparition de quelques cuirassés italiens les a surpris à peu près désarmés. Aussi ne se sont-ils défendus, au moins jusqu’ici, que pour la forme, et la guerre qu’ils ont subie, plutôt qu’ils n’y ont pris part, a ressemblé quelque peu aux grandes manœuvres où un arbitre décide qu’une troupe doit abandonner un poste quand elle n’est plus en situation de s’y maintenir. Il était d’ailleurs trop tard pour réparer le temps perdu et ravitailler Tripoli. Les Turcs en sont séparés par la mer, et la mer ne leur appartient pas. Quelques coups de canon les ont délogés des fortifications de la ville. Qui pourrait leur reprocher de n’en avoir pas fait davantage ? Leur résistance aurait été certainement impuissante et inutile. Mais nous sommes loin du : « Qu’il mourut ! » du vieux Corneille, et même de son second vers : « Ou qu’un beau désespoir alors le secourût. » Ce genre d’héroïsme semble décidément passé de mode.

La Turquie avait trop compté que l’amitié de l’Allemagne serait pour elle une sauvegarde efficace sur tous les points du monde :