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s’y emploie avec une grande activité. Une commission d’enquête, formée par ses soins, recherche les causes du désastre. Une autre s’applique à l’angoissante question que soulèvent la poudre employée dans la marine et les périls qu’elle recèle. Tout cela est fort bien, mais il faut avoir le courage et la franchise de dire que ce n’est pas seulement par des précautions matérielles qu’on atteindra le but poursuivi. Le danger est moins dans la poudre B que dans le défaut de surveillance qui s’exerce sur elle et, d’une manière plus générale, dans l’insuffisance de la discipline sur nos navires de guerre. L’opinion a été péniblement surprise d’apprendre que, au moment de l’explosion, ni le commandant en premier, ni le commandant en second n’étaient sur la Liberté : le commandement y était exercé par un simple lieutenant de vaisseau. Les règlemens permettaient cette double absence, soit, mais les règlemens sont fautifs. M. Delcassé a été le premier à le reconnaître : il vient de décider qu’il y aurait toujours un officier supérieur de service sur nos navires de guerre, décision excellente, mais insuffisante, car elle aura beaucoup plus pour effet de fixer désormais les responsabilités que d’en rendre les résultats préventifs efficaces. Ce sont les mœurs mêmes de la marine qu’il faut changer ; ce sont de vieilles habitudes de négligence et de relâchement qu’il faut réformer. La compétence nous manque pour porter un jugement sur la poudre B ; mais, après avoir lu tout ce qu’on en a écrit depuis quelques jours, il ne nous semble nullement prouvé qu’elle soit coupable de l’explosion de la Liberté. Cette poudre se dénature, paraît-il, au bout d’un certain temps et elle explose, mais elle ne le fait pas d’une manière inopinée, en vertu d’un travail secret dont il est impossible de constater l’origine et de suivre l’évolution. Des taches se produisent sur la poudre, des odeurs particulières s’en dégagent, de sorte que deux de nos sens, la vue et l’odorat, permettent d’y reconnaître les symptômes avant-coureurs du danger. Que ne les a-t-on surveillés sur la Liberté ? On dira peut-être que les inspections réglementaires ont eu lieu et nous répondrons alors une fois de plus que les règlemens sont à refaire. La poudre B est ce qu’elle est ; on connaît ses qualités et ses défauts ; il fallait se servir des unes et prendre ses mesures contre les autres. Si on l’avait fait, l’explosion n’aurait pas eu lieu.

Les inquiétudes de l’opinion ne se sont pas arrêtées là Après les désastres redoublés qui ont affligé notre marine, une triple remarque a été faite. On s’est demandé pourquoi ces désastres n’arrivaient qu’à nous, pourquoi ils n’arrivaient qu’à Toulon, pourquoi ils ne se