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Certes, Marot a été un vrai poète ; il a rencontré çà et là, et plus souvent encore si l’on veut, le vers, l’image, le trait qui l’égalent aux grands poètes. Mais il ne représente qu’un des modes de l’esprit français et dans son rayon le plus intime. Ronsard, lui, est un de ceux qui portent témoignage pour toute une époque et pour toute une nation.

Ces réserves faites, la thèse de M. Laumonier est séduisante et féconde. Jusqu’ici on s’était plutôt attaché à nous prouver combien les Malherbe, les Boileau et les Voltaire, les Chénier avaient méconnu l’homme qui pouvait à juste titre s’écrier :


Vous êtes tous issus de ma muse et de moi.
Vous êtes mes ruisseaux, je suis votre fontaine.


La figure de Ronsard, ainsi présentée, n’était éclairée que d’un seul côté ; M. Laumonier a projeté une très vive lumière sur ce qui en était resté dans l’ombre. Il a distingué, trié, dénombré, classé, à travers les importations étrangères et gréco-latines, les legs de notre ancienne poésie. Il a réveillé le Moyen Age endormi sous les fastueuses dépouilles du Temple Delphique. Ce lyrisme florissant, il nous en a montré les germes et comme les premiers boutons éclos dans le sein des troubadours et des trouvères. C’est peut-être à son insu que Ronsard exploitait leur héritage, bien qu’il pût difficilement ignorer les Prose Toscane « où Bembo reconnaissait dans les troubadours les ancêtres directs de la poésie italienne. » Qu’importe ? On n’insistera jamais trop sur le caractère français de son œuvre.

Mais faut-il le chercher uniquement dans son goût des sentences morales, dans son penchant à l’allégorie et à la préciosité, dans son épicurisme élégiaque, sensuel et libertin, dans ses protestations en faveur de l’amour libre et dans ses variations infinies sur le Toutes pour tous et tous pour toutes du Roman de la Rose ? Ce goût, ce penchant, cet épicurisme, cette « humeur cyprienne, » nos poètes les partagent avec tant d’autres poètes qui ne sont point gaulois ! Comme il est malaisé de fixer les élémens constitutifs d’une race ! Dès que nous les isolons, ils s’affaissent et se vulgarisent. Ronsard est tout cela, et M. Laumonier le sait bien, il est mieux encore : une admirable intelligence française, mise au service d’une grande passion, dans un tempérament gaulois. Humaniste, il tirera des vieux trésors de l’humanisme ce qu’ils contiennent d’humanité et, pour son