Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/725

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loin dans cette voie, et il faut souhaiter qu’on le fasse avec prudence, en ménageant les transitions indispensables, mais c’est beaucoup d’y être entré résolument, de n’en être plus sorti. Il fallait pour cela, non seulement une intelligence pratique remarquable, mais encore et surtout une volonté extrêmement vigoureuse, qui paraît bien avoir été la qualité maîtresse de M. Stolypine. Rien ne l’a détourné du but qu’il s’était proposé. Les oppositions parlementaires, les intrigues de Cour, les attentats eux-mêmes jusqu’au moment où il y a succombé, n’ont eu sur lui aucune prise. Il a donné au monde un très grand spectacle moral lorsqu’une bombe qui lui était destinée, ayant semé la mort autour de lui et blesse gravement deux de ses enfans, ce crime effroyable, qui a déchiré son cœur de père, a laissé son âme de citoyen impassible, au point qu’il a continué son œuvre politique telle qu’il l’avait conçue, sans qu’on ait senti dans sa main qui l’exécutait le moindre frémissement. Il a été alors le justum et tenacem propositi virum d’Horace, et il n’a pas cessé de l’être depuis, avec moins d’éclat, mais avec la même persévérance tranquille et résolue. Un tel homme méritait la considération universelle, et l’avait obtenue. L’Empereur, qui lui avait donné sa confiance à bon escient, ne la lui a jamais retirée : même lorsqu’il lui est arrivé de désapprouver et de rapporter quelques-unes de ses mesures, il l’a maintenu à la tête du gouvernement, à la grande surprise et à la déception de ceux qui aspiraient à l’y remplacer. Un tel maître était digne d’un tel serviteur. Son œuvre survivra à M. Stolypine, parce que l’Empereur en a compris la nécessité, l’utilité, et aussi parce qu’il l’a remise en bonnes mains. Tout porte à croire que M. Kokovtzoff la continuera fidèlement.

Quant à M. Stolypine, si quelque chose pouvait ajouter au respect que son nom mérite, sa mort l’aurait fait : il a versé son sang pour la Russie. Mais que penser de la secte criminelle d’où sortent encore des Bogroff ? Le policier anarchiste et assassin, qui trahit tout le monde et manifeste enfin sa véritable opinion par un coup de revolver, est une répugnante variété de l’espèce humaine. La Russie, on le voit avec douleur, n’a pas encore réussi à l’extirper de son sein.


Lorsque nous publiions, le mois dernier, deux beaux articles de M. Henry Houssaye, nous savions bien que c’étaient les derniers de lui que nous donnerions à nos lecteurs. Depuis longtemps déjà, M. Henry Houssaye, victime d’une maladie inexorable, avait laissé tomber la plume de ses mains : il était perdu pour ceux qui l’aimaient. Son