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Il était permis de rêver une poésie qui convînt mieux à cette société fringante de grands seigneurs, de chasseurs et d’amoureuses. Les Psaumes de Marot ne faisaient que tromper leurs aspirations à la poésie lyrique. Il avait exalté David, qu’il comparait à un aigle, au détriment d’Horace, qui n’était plus qu’une alouette. Ronsard releva le défi. Poussé tout à la fois par la nécessité de faire autrement que le prédécesseur qu’il voulait supplanter et par sa conviction que la foi d’un chrétien est incompatible avec la gaîté lascive naturelle à la poésie, et, qui sait ? malgré ses vagues sympathies pour les premiers réformateurs, flairant peut-être sous ce lyrisme biblique une odeur de guerre civile, il opposa la tradition latine reconquise à l’hébraïsme menaçant.


Plein d’ardeur,
Je façonne un vers dont la grâce,
Malgré les tristes Sœurs, vivra
Et suivra
Le long vol des ailes d’Horace.


Quel coup de maître ! Dès ses premiers pas, il a pris position, et il accuse la signification de son œuvre. Il représente la Renaissance qui se sépare de la Réforme.

Il ne connaît pas encore Pindare. Il n’est préoccupé que de faire triompher Horace sur David et de disputer à Marot sa place et son laurier. La première pièce qu’il livre à l’impression[1], et qui parut dans les Œuvres Poétiques de Jacques Peletier (1547), Des beautés qu’il voudrait en s’Amie, accuse nettement cette préoccupation. Elle n’est, comme l’a remarqué M. Chamard[2], qu’une contre-partie de la vingt-quatrième chanson de Marot. Ronsard se plaît à refaire la pièce de son devancier ; mais il faut voir comment !


Si vous la prenez trop jeunette,
Vous en aurez peu d’entretien...


disait Marot ; et Ronsard :


L’âge non mûr, mais verdelet encore,
C’est celui seul qui me dévore

  1. Elle avait été composée en 1543.
  2. Henri Chamard, Revue d’Histoire littéraire, juillet-septembre 1910. On sait que M. Chamard est l’auteur d’un très beau livre sur Joachim du Bellay. Personne ne connaît mieux notre poésie du XVIe siècle ; et j’aurai plus d’une fois recours à lui.