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de commencer une conversation diplomatique par un acte quasi belliqueux ; dans la pensée que son interlocuteur en éprouvera un effet psychologique qui le rendra plus conciliant, il fait entendre un bruit de sabre et de bottes qui est devenu l’accompagnement en quelque sorte obligé de toutes ses paroles : malheureusement, ce bruit ne fait plus d’effet en France et continue d’en faire en Allemagne. Dans le cas actuel, c’est l’envoi intempestif d’un navire de guerre à Agadir qui a causé tout le mal. Le gouvernement impérial a cru habile de souligner par là ses intentions d’un trait énergique. Combien il s’est trompé ! L’envoi d’un navire de guerre à Agadir, au bout de quelques jours de réflexion, a produit sur l’opinion anglaise l’effet qu’on a vu et auquel les Allemands ne s’attendaient pas. Pour ce qui est de nous, il nous a laissés très froids. La menace cachée sous ce geste ne nous a nullement émus et nous serions entrés en négociation avec l’Allemagne avec des dispositions tout aussi bonnes pour elle, meilleures même, si le geste n’avait pas eu lieu. Nous sommes devenus très raisonnables et, en dépit des erreurs de détail qui s’y produisent, notre politique extérieure est marquée à ce caractère. Mais, en Allemagne même, les allures militaires du gouvernement ont produit une impression plus profonde et plus durable que chez nous. Les difficultés diplomatiques que le gouvernement a soulevées ont paru irréductibles, et elles le sont en effet à quelques égards. Alors l’alarme a été grande et, comme on l’a vu dans les journaux, elle a pris la forme d’une panique financière. Jamais la Bourse de Berlin n’avait traversé une crise plus grave, et le contre-coup de cette crise s’est fait sentir très loin dans les-affaires privées. La liquidation de la fin du mois sera très difficile : il faudrait peu de chose pour qu’elle tournât à un désastre complet. Ces premiers symptômes d’orage ont répandu partout la terreur, et dans un grand nombre de villes, les caisses d’épargne ont été littéralement assiégées par la foule des déposans qui réclamaient leurs dépôts. Ce sont là des phénomènes curieux, inquiétans pour l’Allemagne, qui montrent que les nerfs du pays sont fort loin d’être garantis contre les impressions vives. M. de Kiderlen a affirmé, dans des conversations reproduites par la presse, que ces inquiétudes n’avaient aucune raison d’être et qu’il n’existait en ce moment aucun danger de guerre. Sa sincérité est incontestable, mais on provoque quelquefois la guerre sans le faire exprès, par simple maladresse et parce qu’on s’est mis dans une situation d’où on ne peut pas sortir autrement. Le monde financier allemand a-t-il cru que le gouvernement impérial s’était mis dans une