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légitime que la France en tirât un avantage économique supérieur. Nous renonçons à cet avantage ; nous nous mettons nous-mêmes sur le pied d’égalité avec les autres ; n’est-ce pas assez et faudra-t-il par surcroît que nous donnions à l’Allemagne une situation privilégiée relativement aux autres puissances ? Si nous avions la faiblesse d’y consentir, il est plus que probable que les autres ne l’auraient pas, et que, pour nous épargner quelques difficultés avec l’Allemagne, nous nous en créerions avec le reste de l’Europe et du monde.

Au milieu de tout cela, que devient l’Acte d’Algésiras ? Nous regrettons cet Acte, comme nos lecteurs le savent ; mais il ne faut pas s’attarder trop longtemps à regretter les choses mortes. L’Acte d’Algésiras, n’étant plus, doit être remplacé par autre chose ; malheureusement, quand nous voudrons le remplacer, commenceront pour nous des difficultés nouvelles. Nous demandons, paraît-il, à l’Allemagne de nous aider à les vaincre, en d’autres termes, de nous donner son concours diplomatique pour amener les autres puissances à ratifier ce que nous aurons décidé dans notre tête-à-tête. Sans doute l’action combinée de la France et de l’Allemagne aura alors une grande influence ; nous avons même dit, il y a quinze jours, que cette influence serait vraisemblablement toute-puissante ; mais il n’en sera ainsi qu’à une condition, à savoir que les autres n’auront pas trop à souffrir de nos accords particuliers : dans le cas contraire, comment certains d’entre eux, si ce n’est tous, accepteraient-ils les dispositions nouvelles que nous leurs soumettrions ? De deux choses l’une, ou bien ils y opposeront un refus pur et simple, ou bien ils revendiqueront pour eux-mêmes les privilèges que nous aurons concédés à l’Allemagne. Faut-il le répéter ? notre situation future au Maroc sera telle, même si nous nous bornons à y établir l’égalité économique, que notre extrême générosité méritera peut-être un autre nom dans l’histoire. Nous aurons travaillé pour tous, ce qui est sans doute un beau rôle, mais un rôle sacrifié. Aucun autre pays au monde n’aurait pu d’ailleurs mener à bien, au Maroc, l’œuvre civilisatrice que nous y entreprenons ; les uns en auraient peut-être eu les moyens, mais n’en auraient pas eu la volonté ; les autres en auraient peut-être eu la volonté, mais n’en auraient pas eu les moyens ; à tous la politique des autres puissances aurait opposé des obstacles qui seraient restés insurmontables. A nous seuls, grâce à notre situation antérieure au Nord de l’Afrique, aux droits qui en résultent, à la liberté d’action que nous avons acquise