Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 5.djvu/306

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

te fâches, donc tu as tort. » Elle se fâche toujours, mais elle a toujours raison.

Mlle de Gournay a pris position dans l’éternelle querelle du féminisme et, assez naturellement, elle a pris position en faveur des femmes. Il est à remarquer que c’est naturel, comme je le dis ; mais que cependant cela peut lui coûter un peu ; car sur ce point elle se séparait de son Dieu, Montaigne ayant toujours été contempteur des femmes à peu près autant qu’il est possible de l’être et tout particulièrement des femmes savantes.

Je sais bien qu’on pourrait un peu discuter ce que je viens de dire et m’objecter, non sans quelque raison, que dans le passage même, si fameux, contre les femmes savantes, Montaigne concède aux femmes seulement la poésie, la philosophie et l’histoire, et que c’est autant, sinon plus, que les féministes en demandent ; encore est-il qu’on ne peut guère tenir Montaigne ni pour un partisan des femmes savantes, ni même pour un grand ami des femmes.

Mlle de Gournay les défend, elle, avec vigueur. M. Schiff ajouterait même, s’il ne l’ajoute en effet dans son livre : avec originalité. Il fait remarquer qu’avant Mlle de Gournay on soutenait soit la supériorité de l’homme sur la femme, soit la précellence de la femme sur l’homme, et que Mlle de Gournay est la première à soutenir l’égalité ou l’équivalence entre les deux sexes, ce qui est la vérité. Il ne faudrait pas trop peser sur ce sillon-là et l’on trouverait, je crois, assez facilement la thèse de l’égalité plaidée avant Mlle de Gournay ; mais il importe très peu et l’essentiel est de voir comment cette thèse de l’égalité a été plaidée par elle.

Son Grief des dames est un petit tract très court et sans aucune importance. Son Égalité des hommes et des femmes est un ouvrage très médité et très sérieux. Sans mériter ni le mépris de M. Ascoli, ni l’honneur trop grand que lui fait M. Joran en traitant son auteur de « chef défile » et de « mère du féminisme moderne » (videamus quid sit paritura ista virgo ? — Le féminisme. Non c’est trop dire), l’Égalité des hommes et des femmes est un petit livre très nourri, très ferme et d’une discussion sereine et forte sous la phraséologie du temps. Mlle de Gournay semble n’y faire que de l’érudition, qu’entasser des textes favorables à son opinion ; mais faites-y attention : sous chaque citation, par la manière de citer, il y a un raisonnement qui