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cinq cens pairs ? Fallait-il, au contraire, que la majorité s’abstînt au moment du vote et laissât la minorité voter le bill à elle seule ? Cruel problème I On pouvait l’envisager sous ses deux aspects et, comme il y a toujours des esprits divers dans une assemblée, il était inévitable que la majorité se partageât. Elle l’a fait : les esprits absolus ont été pour la résistance, les esprits modérés pour l’abstention. Parmi ces derniers, il faut compter les deux chefs du parti conservateur, lord Lansdowne et M. Balfour ; et parmi les premiers les fils de lord Salisbury représentant la vieille aristocratie anglaise qui aimait mieux mourir que d’être humiliée, et le fils de M. Chamberlain, représentant dans le parti unioniste l’intransigeance du radicalisme converti. Les argumens de lord Lansdowne et de M. Balfour, tirés du simple bon sens, étaient à notre avis irréfutables. En toutes choses politiques il faut voir la fin. Quelque amoindrie qu’elle soit après le vote du bill, la Chambre des Lords subsiste et, si ses pouvoirs sont diminués, sa composition reste la même ; elle conserve intacte sa majorité qui, plus tard, si le pays envoie à la Chambre des Communes une majorité conservatrice, pourra, d’accord avec elle, revenir sur quelques-unes des mesures prises aujourd’hui. La Chambre des Lords conserve ainsi son importance sociale, ce qui est pour elle un grand avantage, et elle garde le moyen de reconquérir un jour, au moins en partie, ce qui lui est enlevé de son importance politique. Le veto suspensif qu’on lui reconnaît n’est d’ailleurs pas une arme sans portée ; il permet au pays de réfléchir, d’entendre les argumens pour et contre, d’arriver mieux instruit et mieux préparé aux élections prochaines. Il était difficile que ces argumens ne produisissent pas de l’effet sur la majorité unioniste des lords, mais la minorité de cette majorité est restée intraitable et a annoncé quand même l’intention, qu’elle a réalisée, de repousser le bill. Heureusement, elle n’a pas été assez forte pour l’empêcher de passer à un petit nombre de voix, et une épreuve pire que toutes les autres a été épargnée à l’Angleterre. Le Roi n’a pas eu à nommer cinq cents pairs, grande déception pour les candidats qui assiégeaient M. Asquith, afin d’être mis sur la liste, mais grand soulagement pour les gens sensés de tous les partis. Si, en effet, la mesure répugnait au Roi, elle ne plaisait pas davantage au gouvernement qui, après s’être mis dans l’obligation de la prendre, préférait de beaucoup en être dispensé. Tout le monde désirait qu’au dernier moment une main détournât ce calice dont les lèvres sentaient de loin l’amertume. Les Irlandais seuls et quelques socialistes souhaitaient que