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Lokal Anzeiger, dont l’article auquel nous avons déjà fait un emprunt est le plus curieux qui ait été publié en Allemagne dans ces derniers temps. « La France, dit-il, notre ennemie héréditaire et traditionnelle, que nous avons combattue avec l’épée au cours de tant de siècles, a décidément des raisons réelles d’aversion contre nous, ou tout au moins des raisons qu’elle croit réelles. Nous y sommes accoutumés. Nous avons appris à compter avec cette aversion ; mais la dernière semaine nous a révélé plus clairement que jamais quels adversaires irréductibles et acharnés nous avons de l’autre côté de la mer du Nord. La politique hostile de l’Angleterre, qui nous barre le chemin partout et ne manque aucune occasion de nous nuire et de paralyser nos progrès, est pour nous le véritable danger. À quoi servent toutes les niaiseries sentimentales des comités de rapprochement, les phrases solennelles de fraternité et d’affinités de races, les visites réciproques ? Que prouvent-elles contre de tels faits ? » Il semble que de pareils sentimens, hautement avoués, devraient s’exprimer par des cris de guerre ; mais l’Allemagne se contient, elle sait qu’elle n’est pas prête, elle remet à l’avenir le triomphe de ses destinées. « Dans vingt ans, dit le Lokal Anzeiger, elle sera plus encore qu’aujourd’hui l’arbitre du vieux monde. Calculons un peu : sa richesse aura doublé, sa population sera de 90 millions. Que sera la France ? Que sera l’Angleterre, avec ses problèmes sociaux dont chacun renferme un germe de mort ? » L’Allemagne estime donc qu’elle a tout intérêt à prendre patience, et nous nous en réjouissons, car le temps est un grand maître, qui arrange bien des choses.

La haine même ne dure pas toujours, et par exemple le Lokal Anzeiger se trompe lorsqu’il voit dans la France l’ennemie héréditaire et traditionnelle de l’Allemagne. Quelle qu’ait été l’histoire des deux pays, les mauvais souvenirs en étaient effacés, au moins de notre côté, avant 1870, et c’est seulement de cette époque récente que datent les souvenirs nouveaux qui, en effet, nous séparent. L’Angleterre a d’autres motifs de voir d’un œil peu bienveillant le développement maritime de l’Allemagne : contre qui, en effet, est-il une menace, sinon contre elle ? Les alliances, les amitiés qui se forment entre les peuples ne sont pas affaire de sentiment, elles résultent de la force latente qui est dans la solidarité des intérêts. Le rapprochement de la France et de l’Angleterre était dans la nature des choses, et il est singulier que les Allemands, qui sont de grands historiens, s’en montrent étonnés et indignés. Il est d’ailleurs heureux que l’Allemagne repousse l’idée de dénouer la crise actuelle par la guerre et