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Jusqu’à présent, la presse allemande a feint de croire que le développement de notre influence et l’affermissement de notre situation au Maroc constituaient pour nous un bien inappréciable. Elle justifiait ses nouvelles exigences en disant que le poids de la France à Fez renverserait tout l’équilibre africain et qu’il convenait de se prémunir contre un pareil danger. Ce thème épuisé, elle en aborde un autre qui peut donner à croire que nous nous acheminons vers un accord. Après avoir, en effet, amplifié et magnifié la valeur du Maroc pour nous, elle commence à la déprécier. Un article du Lokal Anzeiger est, à ce point de vue, très significatif. Il est tout pacifique ; il exclut l’hypothèse d’une solution violente ; il répète que l’Allemagne n’a aucun intérêt à prendre pied au Maroc où elle ne voit qu’un chantier pour son industrie et un marché pour ses produits : que la France lui assure l’égablté économique, elle sera satisfaite. Et le journal ajoute : « Est-il vraiment désirable d’obtenir plus ? Que ferions-nous du Sous ? La possession d’un pays si difficile à défendre, muni de mauvais ports ouverts, peuplé d’une population si abondante que toute immigration y serait impossible, serait-elle autre chose qu’un défaut à notre cuirasse impénétrable ? Quant à la France, la possession du Maroc portera à dix millions le nombre de ses sujets mahométans, et, par conséquent, peu loyaux. Cela accroîtra-t-il vraiment la force de la République ? Une pareille solution ne lui apportera-t-elle pas, au contraire, bien des élémens de faiblesse ? » Ces élémens de faiblesse, nous les avons signalés nous-mêmes, mais c’est la première fois qu’un journal allemand parle du Maroc comme d’une vipère à déposer discrètement dans notre giron. Le Lokal Anzeiger aurait pu ajouter que, pour pacifier et organiser un pays à la fois guerrier et anarchique, il nous faudra dépenser beaucoup de temps, d’argent et de vies humaines et que, la besogne une fois faite, l’Allemagne en profitera économiquement sur un pied d’égalité parfaite avec nous. Que va-t-elle donc nous demander pour le cadeau suspect qu’elle nous fait ? Que veut-elle exiger en récompense de son prodigieux désintéressement ?

Nos journaux ont publié, ces jours derniers, des cartes qui contiennent très probablement des inexactitudes, mais où certainement tout n’est pas fantaisie : elles marquent de hachures les parties du Congo et du Gabon que l’Allemagne revendique, et le premier coup d’œil montre qu’il s’agit de plus du tiers de notre colonie. En échange, elle nous céderait, dans le voisinage du lac Tchad, cette partie de ses possessions qu’on appelle le « bec de canard, » parce qu’elle en