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injuste et lourd, — mais enfin nous touchons un salaire et cela suffit. Nous ne lisons plus dans les yeux, nous ne sentons plus dans les cœurs ce que nous y lisions et y sentions autrefois : un charme très ancien s’est évanoui, et quelque chose est mort qui était bienfaisant ; nous continuons à guérir les misères du corps, nous ne répandons sans doute plus le léger et précieux parfum dans les âmes.


V

Qu’on ne se méprenne pas sur notre pensée : nous n’instruisons pas le procès de la société moderne ; nous sommes pour le progrès du bien-être chez le paysan, pour la machine, l’engrais et l’élevage ; nous souhaitons ardemment que la solidarité sociale réalise toutes les espérances qu’elle a fait naître, que chaque nouveau-né trouve à la disposition de ses petites lèvres un sein rempli de lait, que le médecin reçoive une juste rétribution pour sa vie de fatigue, de dévouement et de dangers. Mais il est bon de savoir de quelle rançon se paye chaque progrès, et on peut regretter du passé tout ce qui est regrettable sans cesser d’aimer le présent, de croire au progrès et d’avoir foi dans l’avenir. Le bilan social n’est valable pour éclairer la marche en avant que s’il est sincère, si, à côté de ce qu’on a gagné, on y fait figurer tout ce qu’on a perdu.

Malheureusement, sur un dernier point, sensible et délicat, au lieu de gagner nous perdons encore. On doit ici signaler le mal avec insistance parce qu’il semble guérissable et que la guérison est en partie dans nos mains. L’inculture morale des jeunes est troublante. Tout le monde la constate, et nul n’en est mieux averti que le médecin devant lequel l’homme, qu’il soit jeune ou vieux, saisi par le mal et la peur, oublie les attitudes de parade, laisse tomber son masque et montre son âme à nu comme son corps.

Il faut en effet chercher un peu cette amoralité relative des jeunes pour la voir, car, comme ils sont l’objet de toutes les complaisances et de toutes les faiblesses, elle reste cachée jusqu’au jour où la rencontre d’un obstacle la fait éclater. Le premier éclat, au sortir même de l’école, est une petite crise curieuse, peut-être particulière à notre pays, et dont la bicyclette est