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directe de l’Empereur, dont le dernier voyage à Londres avait été un véritable succès, un rapprochement avait eu lieu entre les deux pays. L’Empereur avait su faire renaître la confiance et la sympathie. Ces sentimens n’avaient rien d’artificiel ; ils étaient sincères, mais pourtant fragiles ; ils avaient besoin d’être ménagés pendant encore quelque temps. On ne paraît pas l’avoir compris à Berlin : les ménagemens nécessaires n’ont pas été observés. Alors, du jour au lendemain, les esprits se sont retournés avec la soudaineté et l’unanimité qui caractérisent les soubresauts de l’opinion britannique lorsqu’elle aperçoit distinctement un péril pour un des intérêts essentiels du pays. Tous les journaux, les uns tout de suite, les autres un peu plus tard, ont fait entendre le même langage indigné. Le Times a mené la campagne dans des articles que nous ne citerons pas, parce qu’ils ont fait le tour du monde entier, mais qui indiquaient de la manière la plus précise l’intention très ferme de l’Angleterre de défendre ses intérêts par tous les moyens qui étaient en son pouvoir et aussi de rester fidèle à ses engagemens envers la France. Les journaux allemands ont été surpris, étonnés et, qu’on nous pardonne le mot, interloqués. Ils ont tourné leur mauvaise humeur contre nous avec un mauvais goût que nous leur pardonnons, parce que, sous la brutalité du ton, l’embarras et le désarroi étaient sensibles. Ils ont affecté envers nous une ironie pesante : nous avions, disaient-ils, réussi à faire intervenir « le grand frère » et à nous cacher derrière lui. Ce parti pris de nous traiter en petits garçons, inspiré par une irritation rageuse, restait d’ailleurs inefficace. C’est encore une des erreurs de la politique allemande de croire qu’elle peut agir sur nous par l’intimidation. De pareils procédés ont pu réussir autrefois ; encore ne l’ont-ils fait que par surprise ; ils ne réussiront plus désormais. Le sentiment public est changé chez nous, et nous le devons pour la plus grande partie à l’Allemagne elle-même qui a réveillé dans nos âmes des ardeurs qu’elle croyait éteintes et avec lesquelles elle a joué imprudemment. Napoléon Ier, il y a un siècle, lui a rendu un service analogue au milieu des malheurs qu’il lui a infligés et par le fait même de ces malheurs : c’est un prêté pour un rendu. Il y a là une leçon dont chacun fera bien de profiter. Sans remonter à plus de six semaines, l’Angleterre et la France ne sont plus tout à fait, depuis lors, ce qu’elles étaient avant ; les énergies qui chez elles étaient latentes s’y sont manifestées avec éclat. Amis de la paix, certes, elles le sont autant que jamais : toutefois, ni d’un côté ni de l’autre de la Manche, il ne viendrait à la pensée de personne