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d’être un poids qui oppresse l’Europe, et je suis l’éventail qui la fait respirer : » prétention qui peut à bon droit étonner, mais dont il pouvait croire qu’elle contenait une part de vérité. On sait qu’il nous a encouragés dans nos entreprises coloniales, où il voyait une occupation pour nous, une sécurité pour lui. Personnellement, il professait un désintéressement colonial absolu. Mais tout cela est changé, et l’Allemagne d’à présent, celle de M. de Kiderlen, ne ressemble pas à celle de Bismarck. Elle a un parti colonial et pangermaniste qui a réveillé et qui entretient chez elle les instincts primitifs de conquête et d’accaparement par la force. Certains journaux, auxquels nous nous garderons bien d’attacher plus d’importance qu’ils n’en ont, semblent rédigés par une bande de pirates ; on y lit quotidiennement que les besoins d’expansion de l’Allemagne lui créent des droits supérieurs à tous les autres. Il n’est pas sûr que Bismarck ait dit autrefois que la force primait le droit, mais plus d’un Allemand estime aujourd’hui qu’elle le supprime et le remplace avec avantage. Il ne viendrait pas à l’esprit de l’Allemagne actuelle de se déclarer rassasiée ; elle montre au contraire un appétit formidable qui est devenu une menace pour tout le monde, pour les plus grandes puissances, comme la France et l’Angleterre, et pour d’autres plus petites, mais non moins respectables dans leurs droits, comme la Belgique ou le Portugal. L’Allemagne n’est plus une puissance conservatrice du statu quo : si elle s’est appliquée autrefois à rassurer, aujourd’hui elle inquiète. On ne comprendrait rien aux événemens du jour si on ne tenait pas compte de ces élémens nouveaux.

C’est sur notre tête que la menace a plané tout d’abord. Nous l’avons sentie venir : des symptômes significatifs lui servaient d’avant-coureurs. Peut-être avions-nous le sentiment que certaines imprudences commises par nos gouvernans pouvaient être exploitées contre nous ; aussi nous étions-nous montrés disposés à causer avec l’Allemagne et cette conversation ne pouvait évidemment avoir pour objet que de lui concéder certains avantages. L’occasion était donc pour elle excellente ; elle avait devant elle la France conciliante, à côté d’elle l’Europe plutôt bienveillante ; mais elle a abusé de cette situation et l’opinion, qui lui était favorable la veille, s’est tournée brusquement contre elle le lendemain. Le coup d’Agadir a commencé de tout gâter : on l’a considéré en France comme une offense gratuite, absolument injustifiée après les dispositions qu’on y avait manifestées. Que penserait-on d’une personne qui, au moment d’engager une conversation à l’amiable, déposerait sur la table un revolver