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absolument imaginaires, qu’il affirme avoir été exécutées, dans des églises d’Arezzo, par son arrière-grand-père l’ouvrier sellier ! Ne pousse-t-il pas l’aplomb jusqu’à nous assurer que « maître Lazare peignait d’une manière si pareille à celle de Piero della Francesca que l’on était tenté de confondre les ouvrages de l’un et de l’autre ? »

Mais bien plus fâcheuses encore, pour notre connaissance traditionnelle du développement de l’art italien, ont été les « libertés » historiques suggérées à Vasari par son désir d’exalter les artistes toscans. Déjà son contemporain Zucchero lui reprochait amèrement le parti-pris trop visible qui le portait à ne vouloir accorder qu’à la seule Toscane le privilège de posséder un art parfait et des maîtres de génie. On sait avec quelle force déplorable ce parti-pris du biographe arétin allait peser ensuite, durant trois siècles, sur l’opinion de l’Europe entière, et combien aujourd’hui même il nous est malaisé de secouer le véritable sortilège dont nous a enveloppés la prévention passionnée de Vasari en faveur de la suprématie artistique de Florence. Nous avons beau sentir très profondément, à Milan ou à Vérone, à Urbin ou à Pérouse, qu’il y a eu dans ces villes, pendant les XIVe et XVe siècles, des écoles pour le moins aussi riches en beauté poétique que les écoles florentines des Gaddi et des Verrocchio : toujours nous avons un peu l’impression que l’art florentin possède, parmi tous les autres, un certain prestige esthétique plus haut et quasi consacré, — tandis qu’en fait l’unique différence entre cet art et les autres consiste, pour lui, à nous avoir été obstinément représenté de siècle en siècle, sur la foi de Vasari, comme étant un art d’espèce supérieure, avec je ne sais quelle qualité presque surnaturelle.

Du moins le peintre-architecte de la cour des Médicis avait-il l’excuse d’ignorer ces écoles du Nord et du Sud qu’il nous a trop longtemps empêchés de connaître. Nous lisons bien, dans ses lettres, qu’il éprouve un plaisir mêlé de surprise à constater l’excellence de telles ou telles œuvres rencontrées par lui au cours de ses voyages hors de la Toscane : le fait est qu’il ne prend guère le temps de les regarder, n’ayant l’âme remplie que de la pensée de ses propres travaux ; sans compter que son éducation l’a rendu foncièrement incapable d’apprécier la grandeur artistique de l’art d’un Pisanello, d’un Jacopo Bellini, ou d’un Borgognone. Mais c’est, au contraire, avec une mauvaise foi évidente qu’il ne se relâche pas de déprécier l’admirable effort esthétique de la grande rivale toscane de Florence, cette Sienne que, tout récemment encore, ses patrons princiers n’ont pu asservir qu’au prix de tant de ruses ! Tous les moyens lui sont bons, contre la