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ingénument de la prodigieuse beauté du travail terminé. « Cette Bataille des Turcs, écrit-il de Rome en 1572, est certainement la meilleure chose que j’aie jamais faite, comme aussi la plus vaste et la plus soigneusement méditée. Elle me rendra fameux pour toujours, attendu que, de par la grâce de Dieu, je n’ai jamais rien fait qui y soit comparable. » L’année suivante, il annonce à Borghini qu’il va rapporter de Rome l’esquisse entière de sa décoration pour la coupole de la cathédrale de Florence. « Vous verrez alors la meilleure chose et la plus soigneusement méditée que j’aie jamais faite, et dont j’espère qu’elle n’étonnera pas moins le Grand Duc que vous-même. » Désormais, cette coupole et ses peintures de Rome seront alternativement « la plus belle chose qu’il ait jamais faite, » suivant qu’il travaillera à l’une ou aux autres. « La Salle Royale que j’ai peinte ici est une œuvre sublime, » écrira-t-il dans sa dernière lettre de Rome. Et peu s’en faut que, s’étant mis ensuite à peindre sa coupole de Florence, — que la mort va bientôt le contraindre à laisser inachevée, — il n’éprouve l’orgueilleuse illusion d’avoir enfin découvert les secrets de son art.

Hélas ! la vérité est qu’il ne les a jamais découverts ; et de cela ses contemporains se sont aperçus dès le lendemain même de sa mort. À peine les Florentins se sont-ils trouvés admis à contempler la décoration de la fameuse coupole, — telle que l’avait achevée, d’après son modèle, son éminent rival et ennemi Frédéric Zucchero. — qu’une grande risée a rempli l’église et la ville entière. Tout le monde allait récitant un poème satirique de Grazzini, qui accusait le pauvre Giorgio d’Arezzo d’avoir transformé l’admirable coupole de Brunelleschi « en un bassin pour se laver les pieds ou en une soupière à bouillir les os. » À Rome, les papes faisaient repeindre les murs naguère triomphalement décorés par Vasari ; et il n’y avait pas jusqu’à ses anciens maîtres, les grands-ducs de Toscane, qui ne s’ingéniassent à cacher les peintures qu’eux-mêmes ou leurs parens lui avaient commandées, — si bien que nous ignorons aujourd’hui ce qu’ont pu devenir un bon nombre de celles qu’il nous a décrites et vantées à loisir, dans le dernier chapitre de la seconde édition de ses Vies. La triste déchéance réservée d’ordinaire à ces fausses gloires où entre sûrement une part de « suggestion » collective, jamais peut-être elle n’a commencé aussi vite, dans toute l’histoire des arts, ni ne s’est poursuivie aussi cruellement. Et le plus navrant est que jamais, peut-être, cette déchéance ne fut plus légitime. Car il est bien vrai, comme le disait encore un poète florentin, que l’art de Vasari « nous remplit de surprise : » mais notre