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les Jocrisses commencèrent la réputation de Brunet ; — Brazier, étonnant fabricant de couplets (il en ajustait quarante par jour), ex-apprenti bijoutier, ignorant comme une autruche, mais plein de verve et d’esprit naturel, surnommé par des amis complaisans : le La Fontaine de la Chanson. Pour augmenter sa modeste prébende dramatique, il rédigeait les petits malheurs de Paris dans un journal, à raison de trois francs par malheur. Un soir, Rochefort le voit entrer au foyer des Variétés avec un air rayonnant, et, supposant qu’il a une pièce nouvelle reçue, le complimente d’avance : « Ce n’est pas cela, répond Brazier, ma joie a une autre origine ; j’avais promis à ma femme de la conduire demain à la campagne, mais je n’avais pour cette dépense que dix-huit francs à ma disposition : ce n’était pas assez. La Providence me conduit par hasard sur la place du Palais de Justice ; là j’apprends qu’un individu, en descendant le grand escalier du Palais, venait de se casser la jambe ; j’enregistre ce fait. Je me rends ensuite, par les quais, vers la rue Dauphine, je vois un groupe de monde ; j’ai le bonheur de savoir qu’une femme venait d’être renversée et meurtrie par une voiture chargée de pierre. Je cours soudain porter ces deux malheurs à mon journal, je complète vingt-quatre francs, et j’ai le plaisir d’annoncer à ma femme qu’elle ira demain à la campagne. » Brazier fit d’excellens rôles pour Potier, comique célèbre, mort en 1828, qui mérita son épitaphe : « Les admirateurs de son talent étaient aussi nombreux que ses imitateurs seront rares. » Qui encore ? Moreau, Martinville, Francis d’Allarde, Gosse, Ancelot, Chazet, Poirson, Rougemont, Joseph Pain, Désaugiers, Sewrin, F. Laloue, Villeneuve, Gouffé, Théaulon, Georges Duval, Merle, Picard, Waflard, Augustin Hapdé, Bayard, Dieulafoi, etc. Moreau était aussi détesté pour son esprit satirique que Désaugiers était aimé pour sa bonté ; si bien qu’on afficha un jour ces mots au foyer du Vaudeville : « Récompense honnête à qui trouvera un ennemi à Désaugiers, et un ami à Moreau. »

Voici Dumersan, l’auteur des immortels Saltimbanques. Les jeunes auteurs qui se désespèrent parce que la société ne leur offre pas 10 000 francs de rente sur un plat d’or, et que les directeurs se font tirer l’oreille pour jouer leurs chefs-d’œuvre, savent-ils que Dumersan eut 22 pièces refusées avant d’être joué ? Quelle leçon de persévérance ! « Dumersan, quand il venait au foyer des Variétés, conte Rochefort, était gai, bavard comme