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de l’activité de l’âme sont d’ailleurs trop étroitement solidaires pour que des changemens aussi importans puissent s’y produire simultanément sans être dans une relation de dépendance. On n’a jamais été très religieux en Gascogne, on l’a été certainement moins qu’ailleurs : la douceur d’un climat tempéré, la bonté maternelle d’une terre qui fournit à ses habitans tout ce qu’il faut pour bien vivre, un esprit clair servi par une parole facile, la peur d’être dupe ou de le paraître, un grand fond de gaîté et d’ironie ont éloigné les âmes du rêve religieux et de l’exaltation mystique. On s’est beaucoup battu dans nos villages pendant les guerres de religion, mais on s’échauffait moins pour ou contre la Bible que pour les vengeances, les pilleries et les aventures dont elle était le prétexte. Montluc lui-même n’a-t-il pas flirté avec la cour de Navarre et écouté les prêches de Théodore de Bèze à Nérac, cherchant moins l’illumination de la vérité que le vent favorable pour orienter la carrière ?

Malgré tout, jusqu’à ces dernières années, l’imprégnation religieuse était générale, profonde et déterminante. Dans la métairie, basse et obscure, perdue au milieu des bois, où tout était pauvre et laid, on vivait d’une vie morale élevée, manifestement liée à l’idée religieuse. La grossièreté et la misère de l’existence étaient soulevées, éclairées et embellies par un idéal dont on pouvait reconnaître l’origine et le caractère religieux non seulement dans les momens solennels, comme la mort, le mariage, les naissances, mais encore dans la conception de la famille, la notion générale du devoir, la fidélité aux engagemens, la gravité du serment, le respect des vieillards, l’accueil réservé aux pauvres. Devant la maison, où maintenant on se hâte de donner un verre de vin au chemineau pour l’éloigner, par peur du vol ou de l’assassinat, le pauvre se présentait chaque jour, et l’humiliation de la demande lui était même épargnée ; il n’avait qu’à réciter la prière chrétienne dont les premiers mots sont une formule de fraternité, la plus vieille de toutes ; avant d’entamer la miche pour en détacher l’aumône, un grand signe de croix était tracé sur elle avec la pointe du couteau ; et pas d’humiliation non plus dans le remerciement, mais presque de la fierté, celle du débiteur qui sait que sa dette sera payée, dans ces simples mots : « Dieu vous le rendra ; » ou dans des souhaits comme celui-ci, si émouvant de profonde et humaine vérité, que je croyais oublié et que j’entendais récemment encore : « Dieu