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C’est le dernier tournant de la route… Voici
La petite maison sous le ciel obscurci…
Cinq minutes encore… et la grille est ouverte,
Et dans le soir tombant, dans l’ombre humide et verte
Des arbres éclairés d’en bas, comme élargis,
Nous arrivons devant ta porte, ô vieux Logis !
Découpant sur le mur un carré de lumière
Elle nous dit, avec sa grâce coutumière,
Mais où perce un petit reproche doux, très doux :
« Vous voilà donc, enfin ! On s’ennuyait sans vous !…
« Entrez !… vous trouverez toute chose à sa place… »

Et nous entrons, et nous voyons la grande glace
Au fond du vestibule, en bas de l’escalier,
Et l’antique pendule au tic tac régulier,
Et les chambres où flotte une odeur fade et rêche
De camphre déjà vieux et de lessive fraîche.
On retrouve un par un les objets bien connus
Et tant de fois touchés, mais qui sont devenus,
Si loin de nos regards, si loin de notre geste,
Presque des étrangers… On se repose… On reste,
Le cerveau bourdonnant du voyage hâtif,
Dans le vaste fauteuil bourgeoisement massif
Qui vous enserre avec une chaude tendresse…
Et peu à peu voici qu’en notre âme se dresse
Le souvenir précis des absens ; on revoit
Tous les chers disparus que sous ce même toit
On a connus jadis en leurs formes humaines
Et qui là-haut, du fond des régions lointaines
Dont est fait le grand ciel que nul ne peut sonder,
Mystérieusement, semblent nous regarder…

On se demande alors en ces heures dolentes,
Où le Passé vous berce en ses caresses lentes,
Si la tradition douce du vieux logis
De père en fils toujours fidèlement transmis,
N’est pas amollissante, inutile et malsaine ;
S’il est bon d’attacher une tendresse vaine
À la chambre, au salon paisible où s’encadrait
Tel ou tel être cher dont le pâle portrait