Page:Revue des Deux Mondes - 1911 - tome 4.djvu/899

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout bonnement un camarade, ou, comme nous disons aujourd’hui en langage libre, un « copain[1]. » Quoi qu’il en soit de ce cas en lui-même ou de cette espèce en elle-même, il est remarquable que le sens, soit de ce mot compagnon, soit du mot ouvrier, soit demeuré vague et indécis, au long de plusieurs siècles, depuis Berte et le Roman de la Rose, depuis Beaumanoir et Rutebeuf, jusqu’à Coquillart et Amyot, et au-delà[2].

Et il n’est pas moins remarquable que les deux temps ou les deux mouvemens : tendance vers l’égalité, réhabilitation des arts mécaniques, se puissent discerner dans le vocabulaire, comme chez les publicistes, les philosophes et les économistes : « L’Académie n’a pas cru devoir exclure certains mots, à qui la bizarrerie de l’usage ou peut-être celle de nos mœurs a donné cours depuis quelques années. Il semble qu’il y ait, en effet, entre les mots d’une langue, une espèce d’égalité comme entre les citoyens d’une même république ; ils jouissent des mêmes privilèges et sont gouvernés par les mêmes lois ; et comme le général d’armée et le magistrat ne sont pas plus citoyens que le simple soldat ou le plus vil artisan,… de même les mots de Justice et de Valeur ne sont pas plus des mots français, ni plus français, quoiqu’ils représentent les premières de toutes les vertus, que ceux qui sont destinés à représenter les choses les plus abjectes et les : plus méprisables[3]. »

Où prenons-nous ces deux phrases ? Dans la Préface de la seconde édition (1718) du Dictionnaire de l’Académie. Et tout un siècle, de la seconde moitié du XVIIe à la seconde moitié du XVIIIe, va être rempli d’une littérature d’égalité, — originaux ou traductions, — plus ou moins imitée de l’Utopie et des Sous-Utopies, et où dans la bonne nature se promèneront de bons sauvages, qui péroreront beaucoup et laisseront peu à l’invention de

  1. Les Cent Nouvelles nouvelles, I.
  2. Voyez le Dictionnaire de Littré, au mot : Ouvrier, historique.
  3. « Veut-on connaître quelques-uns de ces mots ? demande Brunetière (Manuel de l’Histoire de la littérature française, p. 272-273). La préface elle-même nous signale les mots de Falbala, Fichu, Battant l’œil, Ratafia, Sabler ; et, on le voit tout de suite, ce sont des tenues populaires ou des termes concrets, tirés de l’usage de la vie commune. D’autres encore sont termes de toilette, par exemple, ou termes de sciences, de mécanique, de physique, d’histoire naturelle. Ils introduisent avec eux la préoccupation des choses qu’ils désignent. On tire de ces choses des comparaisons, puis des figures, des métaphores nouvelles. On incorpore à la littérature tout un vaste domaine qui n’était pas encore le sien. »