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artisans et marchands. Ceux-cy s’entretiennent et incorporent aisément, comme symbolisans en mesme qualité et ressemblance de vie, de mœurs et d’humeurs, d’action et condition… Parmi ces trois sortes d’hommes se pratiquent les arts effectifs, que l’on appelle vulgairement méchaniques, ayant plus d’égard aux mains qui les exercent qu’à leur propre dignité. » Remarque curieuse : pour Montchrétien, ce n’est point le hasard, — ainsi que Pascal le croira encore trente ou quarante ans après, — qui décide et dispose des professions : « Pour nous qui sommes instruits en meilleure eschole[1], où nous apprenons du maistre et gouverneur de toutes choses comme toutes choses icy-bas et là-haut sont régies par la sagesse éternelle de Dieu, et qui réduisons tout à ce point comme la circonférence au centre, nous tenons pour résolu que ce n’est nullement par fortune que nous venons à notre profession, mais que d’une providence supérieure chacun reçoit sa tasche en ce travail public de la vie, auquel nous sommes sans exception nés et destinés, un seul et mesme esprit opérant toutes choses en tous. » Voilà qui met entre les conditions des hommes, si toutes sont l’humaine condition, plus d’égalité qu’il ne paraît, et la commune utilité de toutes les professions fait le reste : « Que l’on considère les arts libéraux et méchaniques où principalement sa lumière (celle de la Nature) esclatte en tant de rayons ; on les trouvera tellement nécessaires, utiles et plaisans, que celuy auquel on regardera le plus semblera le plus préférable ; et puis, descendant comme par degrez de l’un à l’autre, on jugera que difficilement se pourrait-on passer d’aucun, et que tous ensemble font cette merveilleuse chaîne d’or à plusieurs aneaux entrelassez, qui remue et attire à soy les choses d’icy-bas, aussi bien que celle que le poète Homère mettoit es mains de son Jupiter. »

Montchrétien abonde en comparaisons ; elles y passent toutes. Prenant pour ce qu’elle vaut « la physiologie de l’époque[2], » ne pourrait-on trouver ici l’ébauche d’une théorie « organique » ou « organiciste » de l’État, à moins qu’il n’y faille voir plus simplement une image vieille comme les littératures et peut-être comme le monde, l’apologue de Ménénius Agrippa ?

  1. Que Platon et Aristote ; mais ne s’étonnerait-on pas de ne pas les voir invoqués par un auteur de ce temps-là ?
  2. Note de M. Th. Funck-Brentano.