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d’avoir été bâclées : les draperies sont lourdes et les visage inexpressifs. Seules, les petites scènes chrétiennes sont assez finies : je me souviens d’un Ecce homo et d’un Jésus jardinier très agréables de composition. En revanche, les scènes mythologiques sont presque toujours traitées négligemment et comme de simples esquisses. Mais pourquoi s’appesantir sur le détail puisque l’ensemble est ravissant, d’une exquise tonalité blonde. Comme ces questions d’attribution et de critique semblent oiseuses, dans ces pièces dont le plus beau décor est l’admirable paysage qui entre par de larges baies ! La vue s’étend sur de vastes et hautes prairies toutes fleuries, que coupent seulement des bosquets d’arbres et les longues lignes des peupliers qui tracent de somptueuses avenues se perdant dans la campagne. Les chambres sont pleines d’une bonne odeur d’herbe et de fruits mûrs. Au loin, dans l’air poudreux et doré, reposent des montagnes bleues, les collines d’Asolo et les Alpes du Cadore Nulle part n’est plus savoureux ce mélange constant d’art et de nature. Vraiment, les Vénitiens furent les plus voluptueux des hommes. Et moi, pourtant peu envieux, j’ai envié l’heureux possesseur de cette demeure qui, sans quitter un cadre précieux, assiste tout au long de l’année à la vie des champs aux semailles, à la fenaison, aux vendanges, à toutes les grâces de la poésie virgilienne. Dans la douceur du soir tombant, je me suis éloigné à regret de cette villa où les nuits doivent être si belles, où l’on peut, après avoir fermé les yeux sur la chair blonde de Vénus, s’endormir dans le parfum des foins coupés.


GABRIEL FAURE.