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ville des plaisirs, de tous les plaisirs ? Juste de quoi aiguiser la volupté de vivre par un rappel de la fragilité de la vie. Trouble léger, émotion passagère qui effleure à peine l’âme, n’y laissant guère plus de trace qu’un sillage de gondole sur la moire de l’eau…


VIII. — FANZOLO

À la villa de Maser, un peu trop magnifique et prétentieuse, je préfère la villa Emo qui est plus au Sud, à Fanzolo, dans la plaine trévisane. Je l’aime d’être moins connue et rarement visitée, et surtout d’avoir toujours appartenu à la même famille qui l’entretient pieusement et intelligemment, telle qu’elle fut conçue et édifiée. Depuis Leonardo Emo, patricien de la République, qui la fit construire au milieu du XVIe siècle, jusqu’au comte Emo actuel qui vous y accueille avec la souveraine bonne grâce d’un grand seigneur, de n’avoir point changé de maître elle prend comme une aménité et une intimité particulières. Pas du tout solennelle et dans le plus frais décor de verdure qui soit, je ne connais pas de séjour de campagne où l’on puisse vivre à la fois dans un cadre plus artistique et aussi près de la nature. Autour de la maison, ce n’est point, en effet, parc ou jardin apprêté, mais une ceinture de bois, de champs et de pelouses dont les hautes herbes embaument.

C’est encore Palladio qui éleva cette construction. Le grand architecte vicentin a vraiment semé ses œuvres dans toute la région ; si on les réunissait, on aurait, comme le remarque Vasari, une véritable cité. Lui-même nous a décrit le charme et le but de ces villas dans ses Quatre livres d’architecture. « Certes, dit-il, c’est une chose de grand éclat et commode à un gentilhomme d’avoir une belle demeure dans la cité qu’il habite ; mais il y a plus d’agrément encore dans ces maisons de campagne où l’on passe son temps à s’occuper des soins du ménage, à se distraire au milieu de son domaine, sans compter l’exercice et les promenades que l’on y fait chaque jour pour conserver la santé et se mettre l’esprit en repos, sans compter aussi, le plaisir crue l’on y peut prendre, soit dans l’étude, soit dans quelque autre noble application. Ceci, à l’exemple de ces sages de l’antiquité qui, pour goûter la vie calme qu’ils