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dans cette profusion de statues et de vases qui se dressent, tout autour de la villa : cet abord d’apparat et de magnificence guindée convient mal à la simplicité du bâtiment.

Véronèse se chargea des fresques ; et, vraiment, nul travail n’était mieux à sa taille et à son goût. Je n’ai pas à décrire ces œuvres célèbres aux lecteurs de la Revue des Deux Mondes : Charles Yriarte les a jadis, ici même, longuement étudiées. C’est la plus libre fantaisie d’un artiste qui ne peignit jamais que pour la joie des yeux. Tout ce qui peut égayer une demeure, distraire l’esprit de gens qui viennent à la campagne pour se reposer, le prince des décorateurs, libre de tout programme tracé à l’avance, le prodigua. Divinités païennes, héros, éphèbes, vertus, vices, amours, guirlandes de fleurs et de fruits, paysages, animaux, portraits et statues en trompe-l’œil, colonnes simulées, Véronèse les représenta, au hasard de son inspiration, ne songeant qu’à son amusement et au nôtre. Gêné, dans ses compositions officielles, pour exécuter des nus, il prit ici sa revanche. Toutes les figures mythologiques ou allégoriques devinrent de belles femmes aux chairs épanouies ; on ne peut que leur reprocher d’être toujours un peu semblables et inexpressives ; leurs formes opulentes sont trop pareillement splendides. D’ailleurs, de nombreux morceaux sont lâchés, peints mollement, à peine indiqués ; les sujets sont le plus souvent insignifians et sans lien entre eux. Mais qu’importe ? On n’avait pas demandé à Véronèse des tableaux, mais de la décoration. Il devait simplement embellir des surfaces, clouer en quelque sorte, en guise de tapisseries, des fresques brillantes sur les murs. Quelle tâche eût pu mieux séduire celui qui fut le plus charmant des conteurs, le plus habile metteur en scène des fêtes vénitiennes ? Mais n’y cherchez aucune pensée, aucune expression de la vie intellectuelle ou morale. Véronèse n’est qu’une main et non un cerveau. Jamais palette plus éblouissante ne fut à la disposition d’un artiste moins instruit ; pour lui, les règles esthétiques se bornaient, suivant sa réponse célèbre au Tribunal du Saint-Office, à mettre dans un tableau « ce qui fait bien. » Il déclara, ce même jour, que « le peintre avait droit aux licences des poètes et des fous et qu’il continuerait de peindre selon sa compréhension des choses. » Dans la ville du caprice et de la fantaisie, nul n’essaya moins de se soumettre à d’autres règles. Vérité historique,