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hautes montagnes, aux crêtes dentelées, parmi lesquelles se distingue le profil majestueux du Pizzocco, dont le sommet est semblable à une corne de doge. Sur un long pont de pierre, on franchit le terrible Cordevole que nous avions longé à sa naissance, vers Arabba, sur la route des Dolomites, et dont une crue subite aurait, suivant la légende du pays, arrêté les troupes d’Attila. On aperçoit au passage la villa de Colvago où s’éveilla le génie comique de Goldoni qui y composa les deux premières de ses cent cinquante pièces. Après Feltre, ancienne ville romaine dans une jolie position sur la hauteur, la vallée se rétrécit en un sauvage défilé où la Piave coule en torrent. Puis, de nouveau, l’horizon s’élargit. Le fleuve étale son lit de cailloux. Les vignes se suspendent aux arbres, courent en guirlandes. Les maisons et les fermes se colorent de teintes vives et parfois s’ornent de fresques. Les campaniles émergent des verdures. C’est la grande plaine vénitienne qui s’étend, à perte de vue.


V. — CONEGLIANO

Peu de cités se présentent de façon aussi séduisante et aussi gaie que Conegliano. Au débouché de la route de Vittorio, sur la dernière colline des Préalpes d’où elle domine la vallée de la Piave, ses abords sont les plus avenans qu’on puisse imaginer ; elle s’ouvre vraiment au visiteur et lui tend les bras. Il n’est pas rare de trouver, en Italie, des villes qui ont conservé leurs remparts, mais qui leur ont enlevé tout aspect guerrier en les plantant d’arbres et en les transformant en promenades ombragées. Conegliano a fait mieux encore : du côté qui regarde la plaine, elle a construit ses maisons sur l’emplacement des vieilles murailles et aménagé les fossés en rians jardins qui lui font un demi-cercle de verdure et de fleurs. De l’autre côté, la ville s’étage sur le flanc du coteau que couronne un château crénelé dont les briques roses se dessinent entre les fuseaux des cyprès.

Il est assez difficile de trouver l’entrée de la cathédrale et je suis obligé de me renseigner. Je tombe sur le plus charmant des hommes qui interrompt aussitôt ses occupations pour me conduire et me prodigue ses amabilités. La jolie définition que Musset, dans Bettine, donne de l’Italie, me revient à la