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Il n’est pas de voie de montagne qui lui soit comparable. Certes, bien qu’elle franchisse plusieurs cols au-dessus de deux mille mètres, d’autres sont plus remarquables par l’altitude et par les vues qu’elles offrent sur les hauts sommets couverts de neiges éternelles et sur les glaciers ; mais aucune ne l’emporte sur elle en magnificence et en pittoresque. Les grandioses paysages entre lesquels elle se déroule sont incessamment variés et changeans. On n’y éprouve point cette obsession qui, devant le Mont-Blanc, la Meije ou la Jungfrau, produit si vite cette impression d’étouffement que beaucoup ne peuvent supporter. À chaque tournant, à chaque lacet, des cimes surgissent avec leurs roches bizarres qui se dressent dans l’azur et s’y découpent en lignes tranchantes. On songe aux créneaux fantastiques de je ne sais quelles citadelles démantelées et bombardées, à des tours en ruines déchiquetées par des obus. Leurs parois calcaires, jaunes et rouges, font avec le blanc des neiges, le bleu du ciel, le vert des prairies et des sapins, les plus étonnans contrastes de coloration. Nulle région alpestre ne saurait donner une idée de ces étranges sommets ; je ne connais que le cirque presque ignoré d’Archiane, dans les montagnes du Diois, qui rappelle, en plus petit et en plus gris, certains aspects de ces crêtes dolomitiques. Leur charme particulier vient de ce qu’elles sont de la haute montagne avec de la clarté et de la couleur. Il faudrait y rester de longs mois pour connaître les prodigieux et innombrables jeux de lumière que les aubes, les pleins midis, les crépuscules, les nuits de lune prodiguent sur ces cimes et pour assister à l’un de ces orages dont la splendeur, paraît-il, dépasse l’imagination. La foudre tombe, presque sans discontinuer, sur les rochers dont le fer attire l’électricité ; les innombrables pics forment comme autant de clochetons surmontés de paratonnerres. Parfois de gros nuages ronds poussés par le vent du Sud arrivent contre ces parois, saturés de fluide, et s’y déchargent en étincelles ininterrompues ; vus d’en bas, ils semblent de grosses lanternes japonaises, d’énormes perles qui seraient constamment illuminées par des éclairs intérieurs. Les couchers de soleil surtout y ont un éclat qu’on ne retrouve nulle part et que ni la plume, ni le pinceau ne peuvent rendre ; seules, les aquarelles de Jeanès, qui vécut plusieurs années dans le pays, permettent d’évoquer cette incandescence des cimes, cette alpenglut, dans