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le soleil percer les nuages et se répandre en nappes dorées sur la campagne aux airs de fête, sentir ses membres engourdis se détendre et ses yeux s’ouvrir plus grands à la lumière : c’est l’une des joies physiques les plus complètes que je connaisse, et je comprends le lyrisme de tous ceux qui l’éprouvèrent. Douce Italie, ce n’est pas moi qui raillerai jamais tes amans, même quand la passion les emporte, moi qui, tant de fois, aurais voulu t’étreindre, comme le Paolo de Dante étreignait Francesca,


La bocca mi bació, tutto tremante


Bien au contraire, leurs excès m’enchantent. Et j’ai été ravi, l’autre jour, en relisant le Voyage en Suisse du vieux Dumas, de le voir presque divaguer dès que, sur la route du Simplon, il sent les premières bouffées du vent de Lombardie, dès qu’il aperçoit, comme des cygnes se réchauffant au soleil, des groupes de maisons blanches, aux toits plats. Avec son romantisme débordant, il salue l’Italie, la vieille reine, la coquette éternelle, l’Armide séculaire qui envoie au-devant de vous ses femmes et ses fleurs. « Au lieu, s’écrie-t-il, des paysannes goitreuses du Valais, on rencontre à chaque pas de jolies vendangeuses au teint pâle, aux yeux veloutés, au parler rapide et doux ; le ciel est pur, l’air est tiède, et l’on reconnaît, comme dit Plutarque, la terre aimée des dieux, la terre sainte, la terre heureuse que les invasions barbares, les discordes civiles n’ont pu dépouiller des dons qu’elle avait reçus du ciel. » Déjà, à propos de Bozen, j’ai rappelé l’enthousiasme de Gœthe qui semble à certains un peu puéril. Dans l’atmosphère égale et tiède d’un cabinet de travail, on peut trouver plus naturel le calme de notre Montaigne qui, sur le chemin d’Augsbourg à Venise, déclare que Bozen « ville de la grandeur de Libourne est assez mal plaisante » et n’y apprécie que les vins et le pain. Mais, par cette journée d’été finissant, où j’avais quitté Munich avec la pluie et le froid, j’aurais volontiers, comme le conseiller de la cour de Weimar, salué jusqu’à la poussière des campagnes ensoleillées. Avec quelle joie j’ai revu la vallée de l’Adige aux rouges murailles de porphyre et Bozen toute riante, tout enguirlandée, dont l’horizon est fermé par les claires parois du Rosengarten, sa montagne au nom de fleur !…

C’est d’ici que part la nouvelle route des Dolomites, ouverte à la circulation des automobiles au printemps de l’an dernier.