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n’est pas la biologie, c’est le vouloir-vivre primitif qui nous fait vivre et rechercher la santé, mais c’est la biologie qui nous indiquera et même nous prescrira les moyens de conserver ou de recouvrer la santé. Il est donc permis de dire que la science morale est comme la biologie ou la physiologie générale de l’être humain. Et on s’expliquerait ainsi les variations des prescriptions morales, car si les lois très générales ne changent pas, les manifestations de ces lois sont très différentes selon les temps et les lieux : la sueur est un phénomène normal qui se produit chez les sujets sains dans les jours chauds de l’été ; elle est en hiver un phénomène anormal, un symptôme pathologique. Et de même telle action, comme la ruse, pourra être excusable en temps de guerre et odieuse en temps de paix.

De même encore qu’aux yeux du médecin il y a des malades bien plus que des maladies, aux yeux du moraliste il y a des cas individuels autant au moins que des lois générales. Il semble bien qu’ici encore un accord tende à s’établir. Ce sont les individualistes contemporains, les Ibsen, les Nietzsche qui ont réclamé pour chaque être humain le droit de vivre sa vie, de ne pas suivre comme bétail en troupeau les façons de vivre vulgaires, et les applications que nos romanciers ont faites de cette doctrine l’ont rendue assez justement suspecte. D’autre part, l’universalité des règles morales paraissait si communément établie que l’un des argumens dont se servait avec le plus de complaisance l’école éclectique pour combattre la morale de l’intérêt consistait à dire que, si chacun n’avait qu’à suivre son intérêt, chaque homme ayant un intérêt propre pouvait, devait même agir d’une façon singulière et différente des autres. Tous, disait-on, dans les mêmes circonstances, sont soumis aux mêmes obligations, doivent faire la même chose. Ce disant, on oubliait que, parmi les circonstances, il fallait compter aussi bien les intérieures que les extérieures et par suite que, chaque homme étant différent des autres, l’incidence de la loi ne pouvait être pour tous uniforme. Non omnia possumus omnes, disait le poète antique, à quoi il faut ajouter comme conséquence : Non omnia debemus omnes. C’est pour cela que la théologie morale catholique, aussi préoccupée du détail des actions, à cause de la confession, que de la généralité des lois, à cause de l’enseignement, a accordé à la casuistique une place si importante. En théorie, pour l’enseignement et la direction générale, il n’y a que des