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un vif essor d’expansion, une poussée d’impérialisme dans les individus et dans les familles. La restriction de la natalité n’était à tout prendre qu’une forme aveugle et dangereuse de cet impérialisme, qui demandait au paysan encore plus d’énergie que d’ambition.

Il renonçait à la grande famille dont le travail en bande était joyeux et les veillées réconfortantes, où l’on ne se sentait jamais isolé, où l’on pouvait être malade et prendre du repos sans que rien fût compromis, et il adoptait la famille réduite au minimum, la famille-squelette : le père, la mère et l’enfant. Pour achever de payer le petit bien, l’organiser et l’étendre, le voilà condamné à un travail acharné de jour et de nuit, car il ira à la journée chez le voisin après avoir labouré son champ au clair de la lune ou avec une petite lanterne fixée sur l’âge de la charrue, comme je l’ai vu plusieurs fois ; il n’aura plus le droit d’être malade, il peinera et trimera sans trêve ni merci, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à la mort. Et, de fait, beaucoup de paysans sont morts prématurément, victimes de la famille réduite, qui, dans la famille nombreuse, auraient connu la vieillesse comme leurs parens.

Aujourd’hui, l’hyponatalité se maintient et s’aggrave, mais on chercherait vainement l’ambition, l’énergie et l’impérialisme dans les sentimens qui l’inspirent. Une mentalité nouvelle s’est formée peu à peu, différente de l’ancienne. On tient moins à s’élever qu’à jouir. On songe moins à la destinée du domaine familial, à l’avenir de sa descendance ; on songe beaucoup à soi-même. La femme, même la paysanne, redoute les sujétions, les fatigues, les dangers de la maternité ; l’homme fuit les préoccupations et les charges. Chacun tient à vivre sa vie pour soi, à utiliser à son profit le temps et les ressources dont il dispose. Si cette vie est modeste et même étroite, on s’en consolera ; c’est surtout la vie du moindre effort, la vie facile, plénière, sans aléa, qui apparaît comme désirable.

La famille nombreuse représente les bouches à nourrir, les éducations à faire, les filles à pourvoir, l’ordre, la discipline et l’accord à maintenir, les ressources à créer, les initiatives à prendre, les efforts à faire. On n’aime pas le risque, puisqu’on en trouve encore trop dans la vie agricole et qu’on lui préfère les emplois les plus infimes où les mensualités sont régulières et la retraite certaine ; l’effort est redouté par les âmes sans