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D’ailleurs, pour beaucoup d’entre eux la question se posait plus précise et plus pressante. Avec de nombreux enfans, ils ne pouvaient sortir du métayage qui était le seul moyen de les nourrir et de les élever. Les chemins de fer n’existaient pas, l’industrie n’avait pas pris son essor. Les jeunes devaient rester avec les parens ou se placer comme domestiques ; les places étaient rares et les salaires misérables. M. Georges d’Avenel a montré que les salaires agricoles ne sont jamais descendus aussi bas en France que de la Révolution à 1840.

Mais, en se limitant à un seul enfant, comme font les maîtres, on pourra vider le bas de laine, acheter quelques hectares de terre, y bâtir une maisonnette. Le petit bien, arrondi et bien agencé, sur lequel on vivra avec sa femme et son enfant, que l’on cultivera avec une paire de vaches, où la polyculture fournit tout ce qui est nécessaire à la vie, a exercé sur les métayers gascons une fascination irrésistible. C’est lui qui a détruit la vieille famille, à caractère un peu communautaire, pour lui substituer la famille réduite, particulariste, comme la vigne l’a fait ailleurs avec sa culture parcellaire. La terre est achetée et la maison bâtie ; le vieux rêve, le rêve obscur des ancêtres est réalisé. L’homme est enfin maître de cette terre que lui et les siens ont toujours travaillée pour le compte des autres ; la femme, en contemplant le lit qu’elle vient de monter dans la chambre neuve, ne manquera pas de lui dire avec émotion : « Tes chevilles, mon pauvre vieux, ne trembleront plus dans leurs trous à chaque Sainte-Catherine[1]. » C’est la fin et la revanche des tristes exodes où, dans les ornières des mauvais chemins, les mères et les grand’mères ont suivi le pauvre mobilier mal chargé, cahoté, branlant, lamentable sous la pluie des derniers jours de novembre, avec le dernier-né sur les bras et les autres pendus aux jupons.

Bourgeois et paysans ont donc réduit leurs naissances en vue de l’enrichissement et de l’ascension sociale, dans un sentiment d’ambition pour soi, pour sa maison, pour sa descendance. L’ambition produit l’énergie, mais elle en est surtout l’expression et le témoignage. En réalité, pendant la plus grande partie du siècle dernier, ce fut en Gascogne une prospérité agricole générale et croissante, chez tous un ardent désir de s’élever,

  1. Époque où, dans une grande partie de la Gascogne, se font les changemens de métayers.