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ne sont pas d’accord, même sur le bien et sur le mal. Un évêque catholique et M. Rauh ne porteraient certainement pas les mêmes jugemens moraux sur l’obéissance due à certaines prescriptions de nos lois civiles. Cependant M. Rauh était un parfait honnête homme, et on m’accordera aisément que les honorables représentans de l’épiscopat ne le sont pas moins. Il faut donc reprendre : Quels sont, parmi les honnêtes gens, ceux dont la conscience doit servir de juge ? — M. Rauh répond intrépidement : Ceux qui comptent. Car, aux yeux de M. Rauh, il y a des honnêtes gens qui comptent et d’autres qui ne comptent pas. On est donc obligé d’insister encore : Quels sont ceux qui comptent ? Et alors se révèle ingénument toute la candide présomption qui vivait en cet homme vraiment modeste. Tout son livre répond en effet : Ceux qui comptent, les seuls qui comptent sont ceux qui me ressemblent. En sorte que la méthode que je préconise consiste au fond à faire de ma conscience le juge et la norme de toutes les autres consciences. — Il suffit d’énoncer de telles propositions. Il fallait le talent et l’autorité personnelle de l’homme pour donner à ces pensées, dont les formules dissimulaient à peine l’audace naïve, une sorte de prestige. Mais qu’aurait-on dit si, au même titre que M. Rauh, un de ces évêques catholiques dont j’ai parlé avait lui aussi proclamé sa conscience d’honnête homme arbitre de tout ce qui compte et archétype des autres consciences ?

Ce n’est pas qu’il n’y ait quelque vérité dans les formules chères à M. Rauh. Car si la morale n’est autre chose que la législation des actes humains, ce sera bien dans la vie et dans la conscience de l’honnête homme qu’à l’exemple de Socrate nous devrons chercher les actes par où se manifeste toute cette législation. L’honnête homme sera le type moral, l’exemplaire dans la vie duquel on pourra lire la loi, comme à Rome on lisait l’arrêt du préteur sur son album. Et si plusieurs paraissent honnêtes gens parce qu’ils sont également bien intentionnés, même si leurs actes moraux aussi bien que leurs jugemens diffèrent, on aura encore raison de dire que, parmi eux, il y en a qui certainement ont raison et qui seuls doivent compter et d’autres qui, s’opposant aux premiers, doivent avoir tort et ne comptent pas. C’est dans la vie des premiers que se trouve uniquement la législation morale ; on ne saurait la trouver dans les actes des seconds. Mais le difficile est de