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II

C’est justement ce que ne veulent pas faire M. Rauh, M. Belot et M. Simon Deploige. M. Rauh, dont la mort récente et prématurée a laissé à tous ceux qui l’ont connu le souvenir d’un vigoureux esprit gouverné par une haute conscience, estimait pouvoir concilier les exigences de la conscience moderne qui ne veut se soumettre qu’à la raison et les nécessités que la science impose à l’esprit. Il voulait à la fois conserver l’autonomie de la conscience et découvrir scientifiquement les règles morales.

Pour que la morale soit morale, il faut qu’elle soit autonome et ne dépende que de l’esprit ; pour que la morale soit scientifique, il faut que ses lois aient été découvertes dans une réalité ; le seul moyen de concilier ces deux exigences et d’établir une morale vraiment scientifique consiste à chercher les règles morales dans l’observation, non pas dans l’observation d’une réalité sociale donnée, mais dans l’observation des consciences vivantes.


Puisque je ne puis, dit-il, déduire (l’idée morale) ni la considérer comme immobilisée, figée une fois pour toutes, je ne puis que la voir à l’œuvre, telle qu’elle se manifeste dans des consciences dégagées de tout préjugé théologique, métaphysique ou même scientiste, simplement décidées à l’accepter si elle leur paraît vraie, à la définir d’après l’expérience. Voici donc la tâche qui s’impose à moi si je veux tenter une méthodologie morale, une méthodologie de l’action. J’essaierai d’abord de discerner les consciences libérées et les consciences compétentes capables d’observer l’Idée morale. Comment les discerner ? Par la pratique personnelle que j’ai de la certitude morale, par la familiarité avec ceux qui, selon moi, l’ont atteinte. Je constate que je n’ai l’impression de la vérité morale que si je suis dans telle attitude, que ceux-là seuls me donnent cette impression qui sont dans cette attitude… et je dégagerai de cette observation les règles pratiques que je dois suivre, si je veux me placer dans une attitude morale.


Au lieu de s’adresser à l’expérience de la collectivité, M. Rauh s’adresse donc à l’expérience individuelle. Est bien ce que la conscience approuve, est mauvais ce qu’elle condamne. Quelle conscience ? demandera-t-on. La conscience libérée et compétente. Mais quelles sont les consciences qui méritent ces titres ? Celles de tous les honnêtes gens ? Mais tous les honnêtes gens