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qu’il convertisse à son erreur la majorité de ses contemporains, l’ordre social ne peut pas subir un réel dommage ; s’il est dans le vrai, il finira par convertir les autres à sa découverte et, loin d’en pâtir, l’ordre social se trouvera au contraire fortifié et consolidé. Et à toutes les objections tirées des menaces d’anarchie, M. Cantecor répond intrépidement :


Révolutionnaire, notre théorie l’est, à coup sûr, si l’on entend simplement par là qu’en elle s’affirme un esprit de libre critique et, pour ainsi dire, d’insurrection régulière et constante contre les traditions, les coutumes et en général toutes les formes où survit le passé. Mais il nous est impossible d’admettre qu’elle soit dangereuse. Les esprits libres ne sont pas si communs, ni la tradition si facile à ébranler… Enfin cette attitude fût-elle difficilement conciliable avec les nécessités de la vie, oserions-nous dire que nous n’en serions pas ébranlés dans notre foi ? Du point de vue où nous nous plaçons dans l’acte de la réflexion morale, il n’est pas moralement nécessaire que la société humaine prospère ou même subsiste… Une seule chose est nécessaire ; c’est, quand nous pensons ou quand nous agissons, de rester fidèles à la règle de vérité et de moralité qui nous constitue comme esprits.


Ainsi M. Cantecor découvre dans les écrits des moralistes sociologues une sorte de crime de lèse-majesté contre ces affirmations de la conscience moderne que M. Séailles nous énumérait avec tant de conviction.

Et il va plus loin encore. Emporté par la foi qui le domine et qui lui inspirait tout à l’heure de si fiers accens, il ne se contente pas de revendiquer pour la raison le droit de juger de la légitimité des actions, ou, comme dit Kant, de la valeur matérielle des actes par la forme rationnelle qu’ils sont susceptibles de revêtir ; il prétend aller aussi loin que Kant et déduire de la raison seule, sans avoir recours à l’expérience du bien et du mal, des préceptes moraux définis et déterminés. Nous ne pouvons le suivre ici dans cet exposé technique. Tout ce que nous devons en retenir, c’est que, en face de la science positive de la morale qui prétend tirer toutes ses règles de l’expérience, subsiste toujours l’autre école qui soutient que l’expérience n’a de valeur que si d’abord elle s’est soumise aux lois.

M. Cantecor a été vigoureusement soutenu par un autre jeune philosophe, M. Parodi, qui, tout en étant moins absolument formaliste et moins rigoureusement kantien, n’affirme pas moins l’insuffisance des méthodes dites positives pour fonder une morale et montre avec une grande abondance d’argumens et une