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LA MORALE CONTEMPORAINE

II.[1]
LA MORALE DOIT-ELLE DÉMISSIONNER ?

Faut-il admettre les conclusions des sociologues ? Faut-il dire avec M. Lévy-Brühl que la morale ne peut être que la science des mœurs telles qu’elles sont, qu’elle ne peut connaître les fins, qu’elle doit renoncer à donner des règles, c’est-à-dire qu’elle ne peut être scientifique qu’à la condition de résigner sa fonction ? Car s’il y a au monde un ordre de recherches qu’on ait abordé en vue de trouver des lois de conduite et d’y atteindre à des résultats pratiques, c’est assurément celui des recherches morales. Un seul sur ce point peut lui être comparé, c’est celui des recherches médicales. Si le médecin ne prétendait pas guérir ses malades, ou tout au moins les soulager, faire reculer la mort, la médecine n’existerait pas. Si de même les moralistes n’avaient pas espéré guérir les vices, assainir les âmes humaines, propager et faire fleurir les vertus, il n’y aurait pas eu de morale. On vient dire aux moralistes qu’ils doivent s’abstenir de proposer des fins, de donner des règles, on leur assure qu’ils ne sauraient être « normatifs, » c’est leur enlever leur raison d’être, c’est leur ôter le pain de la bouche. Car ce sont précisément des règles d’action, des préceptes de conduite qu’ils ont de tout temps voulu donner : Socrate et ses disciples, les Épicuriens, les Stoïciens, les Péripatéticiens, les Académiciens, les Sceptiques

  1. Voyez la Revue du 1er août.