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rencontrées à ses débuts ? « En arrivant à Lisbonne, pouvait-il justement écrire au Premier Consul en décembre 1804, j’ai trouvé une armée anglaise, un ministère choisi et appelé par l’Angleterre, des généraux anglais commandant les troupes portugaises ; la factorerie française dépossédée, dispersée et désorganisée ; les factoreries anglaises en possession de tous les magasins, ateliers et fabriques. J’ai senti que c’était moins avec le Cabinet de Lisbonne qu’avec celui de Londres que j’avais à combattre. » Il avait combattu et il avait vaincu. Les émigrés expulsés, Almeida, le ministre ennemi entre tous, remplacé par un ami de la France, la colonie française remise en possession de ses anciens privilèges et de son importance commerciale ; le peuple, d’abord hostile, devenu peu à peu assez bien disposé pour applaudir aux cérémonies célébrées en l’honneur du chef de la nation française, la noblesse intimidée ou conquise, le Prince amené par degrés à la confiance et à l’intimité, enfin son gouvernement et son pays arrachés à l’alliance séculaire qui les liait à la Grande-Bretagne, voilà l’œuvre de Lannes. S’il a été puissamment servi par les circonstances, comme étant le représentant d’un grand peuple victorieux et d’un homme de génie ; si, soldat dans l’âme et rien que soldat, il a commis, au point de vue diplomatique, bien des erreurs et bien des fautes ; si ses qualités militaires n’ont fait même que nuire au diplomate improvisé, ce qui a permis à ce diplomate improvisé de réussir, ce sont les qualités personnelles de l’homme, son passé glorieux, d’abord, puis son courage, sa droiture, sa générosité, sa libéralité, et avec cela une certaine finesse gasconne que n’arrivent pas à démentir les violences dans le langage et les coups de tête dans la conduite. Blâmons les incartades de Lannes, la brusquerie de ses procédés, son manque de discipline, le peu de convenance de ses polémiques avec le ministre des Relations extérieures ; mais admirons ses vertus héroïques, sa préoccupation de représenter dignement son pays, son amour passionné de la France, son sentiment profond et ardent de la grandeur et de la force de son pays.


MAURICE BOREL.