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Pendant les derniers mois de son séjour à Lisbonne, la position de Lannes va être aussi enviable qu’elle l’était peu durant les premiers temps de sa mission. Au point de vue social, l’aristocratie portugaise elle-même va quitter son attitude hostile ; comme elle n’a pas voulu se risquer aux premières avances, Lannes n’a invité à son bal que les personnes qui se sont fait inscrire chez lui. Les autres se plaignent : on leur répond que si le ministre avait pu croire qu’il leur serait agréable d’être reçues chez lui, il n’aurait pas manqué de les convier ; et aussitôt toutes de se faire inscrire à la Légation ; quand Lannes donne un second bal, il les y engage et elles viennent. Méneval, de qui nous tenons ces détails, ajoute que Lannes eut même occasion d’aider de son crédit cette noblesse besogneuse, et que ses recommandations étaient toujours bien accueillies.

Mais voici que, quelques jours après, 18 mai 1804, éclatent de grands événemens. Bonaparte est proclamé empereur I Lannes, l’ancien compagnon si fidèle de Napoléon, en envoyant au nouveau souverain l’expression de sa joie et de son dévouement, saisit en même temps cette occasion pour demander son rappel, et, en effet, il a tout intérêt à ne pas prolonger son séjour à Lisbonne, et à quitter le Portugal sur le succès qu’il vient d’obtenir. Puis il se souvient, sans doute, des difficultés par lesquelles il a fallu acheter ce succès, et il sent qu’il est temps pour lui de reprendre son véritable et glorieux métier de soldat. Il le désire si ardemment qu’il n’hésite pas à intéresser son ancien adversaire à sa demande et à déclarer à Talleyrand qu’il se félicite de lui avoir « cette obligation personnelle. »

Le Régent de son côté veut être un des premiers souverains à rendre hommage à l’Empereur, et il s’occupe déjà de désigner un ambassadeur extraordinaire pour aller le lui porter ; c’est M. Lorenzo de Lima qu’il choisit ; déjà connu de Talleyrand, il s’est distingué à Lisbonne par sa conduite, comme par ses sentimens. Entendons par là sa conduite politique, mais non privée ; car, à en croire la duchesse d’Abrantès, M. de Lima représentait, ou du moins croyait représenter de la manière la plus complète le type du séducteur, tel que le XVIIIe siècle avait essayé de le peindre sous les traits du marquis de Faublas ou du chevalier de Valmont. Ne portait-il pas toujours sur lui une paire de ciseaux spécialement destinés à couper les cordons de sonnette dans les