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dernière guerre, et dont les fils sont au service de la République.

Ainsi Lannes avait réellement pris sur l’esprit du Régent une influence très profitable à nos intérêts : sa franchise, sa loyauté, avaient conquis peu à peu la sympathie de ce prince timide et méfiant.

Cependant Talleyrand lui réservait une déception nouvelle. Il venait de signer à Paris avec l’Espagne un traité de neutralité aux termes duquel celle-ci achetait par un subside en argent, équivalant aux obligations qu’elle s’était imposées à Badajoz, le droit de rester neutre dans le conflit avec l’Angleterre. Bonaparte, ayant besoin de fonds pour la guerre, a eu l’idée de monnayer, pour ainsi dire, son traité d’alliance avec Charles III. La même pensée lui est venue pour le Portugal, et Talleyrand n’a rien trouvé de mieux que de charger l’Espagne, comme intermédiaire et médiatrice, d’amener le Portugal à adhérer au traité quelle vient de signer avec la France. Le 23 octobre 1903, le chevalier d’Azara, ambassadeur d’Espagne à Paris, confie à son collègue M. de Souza, que les instructions du Premier Consul « sont de forcer le Portugal à prendre parti contre l’Angleterre, et que, pour cela, il a déjà rassemblé sur les frontières une armée prête à agir. » Sa Majesté Catholique « s’est engagée formellement à employer ses bons offices et sa médiation auprès de la cour de Lisbonne pour que celle-ci conclue un traité pareil à celui que Sa Majesté vient de faire avec la France. »

Lannes ignorait tout, quelles ne sont donc pas sa stupeur et sa fureur, lorsque son collègue d’Espagne lui annonce, avec la conclusion du traité franco-espagnol, la nouvelle de la médiation de l’Espagne entre la France et le Portugal. « S’il en est ainsi, écrit-il, je demande mon rappel au retour du courrier, déterminé, s’il ne venait pas, à le prendre moi-même. » Et, attaquant en face Talleyrand, il ajoute : « Après tout ce que j’ai fait ici, je me déterminerais encore à supporter le désagrément de me voir ravir le fruit de mes efforts, si je croyais que cette résolution pût venir du Premier Consul ; je sais depuis longtemps que de pareils traitemens ne peuvent me venir de lui. »

Pour mettre le comble à l’amertume du malheureux général voici que, deux jours plus tard (le 15 brumaire), après l’avoir informé du traité et de la démarche d’Azara, Balsemaö lui mande que le Régent, ne voulant point répondre à l’ambassadeur d’Espagne avant d’avoir communiqué au ministre de