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où le général rentrait chez lui avec Mme Lannes, des « individus apostés sans doute à dessein » se sont mis à lancer des pierres contre la porte de sa maison avec tant de violence que plusieurs d’entre elles sont arrivées jusque dans l’intérieur et ont manqué de blesser grièvement le suisse de la porte. Lannes, cédant aux mouvemens d’une colère bien naturelle, s’est élancé hors de la maison pour connaître les agresseurs ; mais, au moment où il tournait ses pas vers un homme qui prenait la fuite, un autre, sortant tout d’un coup de derrière la fontaine de Loreto lui a présenté de sang-froid le pistolet sur la poitrine, et, l’arrêtant ainsi dans sa marche, a continué la sienne sans proférer une parole.

De pareils incidens, si extraordinaires qu’ils nous paraissent aujourd’hui, n’étaient pas rares alors à Lisbonne : Mme d’Abrantès insiste sur le peu de sécurité de la ville avant que le marquis de Novion eût réorganisé la police ; même sous son administration, il y avait encore des attentats fréquens contre les personnes, surtout contre les étrangers. Lannes était d’autant moins à l’abri d’une attaque de ce genre que les excitations de l’Angleterre et des émigrés s’adressaient à une population naturellement hostile à la France par suite de ses idées politiques et religieuses.

À ces griefs privés se joignent des faits plus graves. Le gouverneur de Belem a laissé le corsaire anglais le Narcissus mouiller en rade pendant quatre jours, et quand le commandant de ce navire met en liberté l’équipage d’un corsaire français qu’il a prisonnier à son bord en leur disant de débarquer où bon leur semblerait, ce gouverneur, dont nos compatriotes viennent réclamer la protection, les met en prison dans la tour, et les y tient enfermés sans leur donner aucune nourriture pendant vingt-quatre heures.

Cette fois, la mesure est comble : c’est en vain qu’Almeida affecte une grande indignation et promet de rechercher et de punir les coupables de l’agression commise dans la maison de Lannes ; c’est en vain que le gouverneur et les officiers composant la garnison de la Tour de Belem sont arrêtés et cassés ; Lannes déclare à Almeida qu’en présence de son refus de donner satisfaction à tant de griefs légitimes, il interrompt toute communication avec lui jusqu’à ce qu’il ait reçu des ordres de son gouvernement. Il prend même soin d’en avertir directement le Régent.

Voici donc une nouvelle rupture. Pour se décider à une