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profondement étonné de voir demeurer sans effets les engagemens de Dom Joaö, — car il n’a renoncé à insister pour le renvoi d’Almeida que sur la promesse d’autres satisfactions équivalentes et rien n’a été fait ; — les ministres du Prince le trahissent, et ne sont à Lisbonne que les premiers agens de l’Angleterre ; il faut donc que M. de Souza soit disgracié, car c’est lui le véritable chef de la faction britannique. Bref, Lannes ne néglige rien de ce qui peut intimider et rassurer à la fois une âme « incertaine et faible. »

Les âmes incertaines et faibles ont une arme précieuse : l’inertie. Le Prince répond dans les mêmes termes vagues qu’il emploie d’habitude. Pourtant, il laisse échapper une question qui montre combien le pouvoir de Bonaparte paraissait encore précaire à cette époque. « Le Premier Consul est-il bien solide à sa place ? — Aussi solide, répliqua Lannes, que peut l’être le chef d’une nation qui a 600 000 hommes à ses ordres. »

C’est que la paix avec l’Angleterre, qui avait semblé consolider d’une manière durable l’autorité du Premier Consul, est, en ce moment déjà, à la veille d’être rompue. Voici que, dans son message au Parlement, le roi d’Angleterre accuse la France de préparer des armemens offensifs, et déclare qu’il existe des différends entre les deux pays. L’effet est retentissant en Europe, en Portugal particulièrement où les journaux anglais sont les seuls qu’on lise.

Souza et Almeida, pressentant la rupture inévitable et prochaine entre la France et l’Angleterre, cherchent à entraîner leur pays du côté de cette dernière. Comme le Régent a des sympathies pour la France, ils s’attachent à l’éloigner de Lannes et à ne lui permettre de voir que des avocats de la cause anglaise. Outre le représentant britannique, il en est un à Lisbonne que son rang fait écouter tout spécialement, c’est un fils de George III, le duc de Sussex[1]. Ayant épousé en 1793, sans l’autorisation de son père, une Irlandaise appelée lady Augusta Murray, fille de lord Dunmore, il avait dû quitter l’Angleterre et vivait en Portugal avec sa femme depuis trois ans ; mais cette disgrâce ne l’empêchait pas d’employer au service de son pays, en bon citoyen britannique, l’influence que lui assurait son origine.

  1. Augustus Frederick, duc de Sussex, 1773-1843, sixième fils et neuvième enfant de George III.