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intentions de satire ou tels desseins de réforme. Voilà donc ce que nous sommes, ou ce que nous serons, ce que nous sommes condamnés à devenir (La Machine à explorer le temps) ; et voilà, au contraire, ce que nous pourrions, ce que nous devrions être (Au temps de la Comète). Il y a une logique de la nature et une logique de la raison. La première déroule inéluctablement ses conséquences, au-dessus desquelles la seconde élève l’idéal de ses lois. L’une et l’autre sont comme l’armature intérieure de l’imagination de M. Wells. Elles lui donnent sa puissance constructive et une sorte de précision automatique qu’on ne s’attend point à trouver d’ordinaire dans le libre domaine de l’art. Ce mécanisme ne s’arrête point que la fiction n’ait épuisé tout ce qu’elle contient d’images et de sens. Impassible, impitoyable, l’écrivain semble un spectateur qui n’a point à intervenir ; et il arrive ainsi à son tour, par ses moyens originaux, à ce flegme qui est, sous une forme ou sous une autre, chez tant d’écrivains anglais, un des élémens de l’humour.

Mais le flegme anglais recouvre un fond assez morose, assez tourmenté et assez sombre. La fantaisie tourne volontiers au fantastique, la nouveauté à l’étrangeté et le rêve au cauchemar. En dehors de ce qu’il lui fait signifier, M. Wells aime l’horreur pour elle-même, comme les cerveaux du Nord aiment l’excitation de l’ivresse et cherchent les ébranlemens profonds. L’esprit si lucide et si ferme d’un Rudyard Kipling garde encore quelque chose de ce goût anglo-saxon, et il ne me paraît pas contestable que l’influence de ce conte effroyable, l’Étrange chevauchée de Morrowbie Jukes, se retrouve dans la Plaine des Araignées[1]. De part et d’autre, c’est la même impression d’angoisse physique, le même drame humain à travers l’accablant maléfice des choses. Morrowbie Jukes, ingénieur du Civil Service, au bout d’une galopade effrénée à travers un désert de sable, a roulé au fond d’une sorte de cratère en fer à cheval, ouvrant directement d’un côté sur les hauts-fonds du Sutledj : c’est une trappe, il ne tarde pas à s’en apercevoir, exactement du même modèle que celle où le fourmi-lion fait tomber sa proie. Impossible de remonter ces parois de sable à pente raide, d’environ

  1. Douze Histoires et un Rêve. — Ce n’est pas la seule analogie qu’on pourrait relever entre les deux écrivains anglais. Rapprocher Un Rêve d’Armageddon de la Cité des Songes) (en anglais The Brushwood Boy) dans LES BATISSEURS DE PONTS.