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Cela finit par la banqueroute et la ruine. L’échafaudage des spéculations s’effondre et ce « roman du commerce, » comme disait Ponderevo, aboutit au plus sinistre dénouement. Quelle plus forte condamnation de la société, que ce sombre tableau des sentimens pervertis et des énergies stériles ?


IV

Ce n’est pas seulement l’Angleterre d’aujourd’hui que M. Wells juge avec la dernière rigueur et une évidente injustice : c’est toute notre civilisation, où il ne voit guère que la lutte inégale de la raison contre les énergies de l’instinct et les résistances de la vie. Particulièrement puissantes et plus manifestes qu’ailleurs dans la société anglaise, on retrouve, en effet, ces résistances et ces énergies dans toutes les sociétés. L’intelligence de l’homme a su maîtriser les forces matérielles de l’univers, leur imposer son empire et créer ainsi un merveilleux progrès, lié au développement des inventions mécaniques. Quand les forces morales, quand les forces sociales seront-elles à leur tour maîtrisées ? Quelle invention transformera les âmes, et, comme les « brouillards verts » pénétrant les cerveaux, y renversera cent obstacles, cent frontières dressées, éveillera les esprits de leur songe absurde et mesquin, leur permettra « d’arriver naturellement, de front, sur la grande plate-forme de l’entente raisonnable et nécessaire, base désormais de notre ordre mondial ? » Quand les hommes sauront-ils voir enfin, d’un regard tranquille, impartial, comme sur une table de dissection, leurs passions palpitantes ? Quand feront-ils ce qu’il faut pour tarir goutte à goutte le « vaste océan de douleur inutile et évitable ? » Quand le monde, en un mot, sera-t-il transformé ? M. Wells a goûté au fruit de l’arbre de science ; il invite l’humanité à y goûter, et il nous répète l’antique parole : Vous serez comme des dieux, sicut dei eritis. Cela ne dépend que de nous : « Tout peut se faire si facilement avec de la franchise, avec du courage. » Tout pourrait se faire si facilement, dans un monde moins rebelle à la raison.

Mais comment ne pas désespérer du monde, quand on voit combien il se prête peu à la logique des réformateurs, et comment ne pas désespérer de la raison, qui se révèle impuissante à réformer, à transformer la vie ? Tel est le principe même et,