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Londres aussi, la colossale cité de dix millions d’âmes (avec ses annexes), s’explique à la lumière du « système Bladesover » qui peut seule permettre de se reconnaître dans ce chaos de rues, de population et d’édifices. Les parcs du West End, ses palais, ses vastes demeures, les allées et venues des Olympiens, de leurs serviteurs, majordomes et valets de pied, — qu’est-ce autre chose que le manoir de Bladesover ? On délimiterait assez aisément sur un plan la zone des grandes résidences. Le musée d’Histoire naturelle, c’est, en grand, la collection d’oiseaux empaillés et autres animaux dont les vitrines ornaient l’escalier de Bladesover, le musée de l’Art correspond à ses bibelots et porcelaines, et les petits observatoires d’Exhibition Road rappellent à George Ponderevo le vieux télescope grégorien de sir Cuthbert auquel il avait donné la chasse dans le grenier du fameux manoir. Tous les musées et toutes les bibliothèques, dont Londres est parsemée entre Piccadilly et West Kensington, sont des rameaux détachés, et indépendans aujourd’hui, de ces demeures seigneuriales où les installa, sous leur première forme, l’élégant loisir des gens de goût. Vous trouverez dans Régent Street, dans Bond Street et dans Piccadilly, — on y trouvait, pour mieux dire, avant la profanation américaine, — les boutiques pour la clientèle de Bladesover. La maison du médecin se multiplie, sans changer beaucoup de caractère, tout le long de Harley Street, et un peu plus à l’est, les gens de loi se sont installés dans les maisons abandonnées par une précédente génération de gens de naissance, tandis que plus bas, dans Westminster, derrière des façades monumentales, de vastes pièces, ouvertes sur Saint-James Park et pareilles à celles de Bladesover, logent les services publics. Le Parlement enfin, avec son palais gothique, ses lords et ses gentlemen, commande, sur sa terrasse, au système entier.

À mesure qu’on s’éloigne, dans les directions diverses, s’allongent des rues sans fin, avec leurs maisons toutes pareilles, le monotone aspect de leurs ateliers, leurs familles sordides, leurs boutiques de basse catégorie, leur population indéfinissable de gens qui, suivant l’expression distinguée, « n’existent pas. »

Mais l’énormité même de ces excroissances populaires révèle un autre aspect de la vie anglaise, celui dont l’activité de la Cité et la lourde vie du fleuve nous suggèrent assez clairement l’idée. Une Angleterre moderne, une Angleterre de commerce