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complète de la législation des mœurs, une révision attentive de tous les principes. Mais tandis que les romantiques exaltent l’individu et dissolvent ou autant dire toute espace de législation, les socialistes au contraire enchaînent étroitement l’individu à la société et si, comme Fourier, ils le libèrent de certaines contraintes morales, ce n’est que pour l’asservir plus rigoureusement à la législation sociale. Pierre Leroux, le premier, insiste sur l’idée de solidarité. C’est Auguste Comte seul qui est parvenu à édifier une morale à peu près complète. Et encore, pour le détail des préceptes, il s’en réfère au christianisme. Probité, véracité, continence des mœurs, respect des parens et des autorités, condamnation de l’homicide et de l’adultère, tout ce que contient le Décalogue, Auguste Comte le conserve et même, en le faisant dériver de l’altruisme, le rend presque plus rigoureux. Mais, s’il conserve le Décalogue, il le fonde tout autrement. Ce n’est plus Dieu qui commande et qui ordonne. La loi morale est une expression de la loi sociale, et de la première de toutes, de celle sans laquelle aucune société ne pourrait jamais exister et qui se formule ainsi : Vis pour autrui. Le supérieur doit commander à l’inférieur. L’humanité, la société étant supérieures à l’individu, celui-ci doit observer la législation, sans laquelle les sociétés ne pourraient pas être ni l’humanité se développer. La morale, ou physique des mœurs, n’est ainsi qu’un chapitre de la physique sociale, une partie de la science sociologique. On peut découvrir ses lois comme toutes les autres lois scientifiques, par l’analyse des faits sociaux, des faits moraux, à l’aide par conséquent de l’observation et de l’induction. Et de même que ni dans le monde, ni dans la connaissance humaine, il n’y a rien d’absolu, de même la législation morale ne saurait mériter un tel qualificatif et le commandement moral ne le mérite pas davantage.

Au moment de la proclamation de la République en 1848, à la demande de Carnot, ministre de l’Instruction publique, un ancien élève de Polytechnique, Charles Renouvier, rédigea pour les écoles publiques le premier des manuels d’instruction morale et civique[1]. Dans ce petit livre, Renouvier ne faisait appel à aucun principe d’ordre religieux. Disciple de Kant, il estimait

  1. Manuel républicain de l’homme et du citoyen, édit. Thomas, in-12, Paris, Alcan, 1904.