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morale chrétienne, enfin s’il ne convenait pas de substituer aux commandemens, survivances de la vieille foi, de nouveaux préceptes puisés dans la science et acquis par la raison.

Les philosophes n’avaient pas prévu ce besoin de la société nouvelle. Ils en étaient restés au vieux Décalogue. Mais ce besoin eut bientôt fait de se créer ses organes. Et aussitôt les penseurs se mirent à l’œuvre. Il fallait reconstituer de toutes pièces une morale. De la base au faîte on reprit tout l’édifice. L’homme moderne, nous dit-on, le citoyen de la République de l’an 1911 étouffe dans les liens des règles antiques, et ces règles elles-mêmes n’offrent aucune garantie de certitude. Elles sont asphyxiantes et elles sont fausses. Manquant à la fois de bienfaisance et de vérité, elles deviennent également caduques pour la volonté et pour la raison. N’étant pas vraies, l’intelligence des désavoue ; n’étant pas bonnes, la volonté a le droit, que dis-je ? le devoir même de les repousser. Et voilà toute la morale à terre.

Une double tâche s’offre donc aux moralistes. Ils doivent d’abord retrouver les bases solides indispensables à la morale future ; ils doivent ensuite découvrir les lois générales d’après lesquelles on pourra édicter les nouveaux préceptes, le Décalogue rajeuni qui doit remplacer l’ancien. Cette double tâche appartient de droit aux théoriciens, sociologues ou philosophes. Il restera ensuite à faire passer dans la pratique courante par l’instruction scolaire et l’éducation le résultat des découvertes des théoriciens. Ce sera l’œuvre de la pédagogie nouvelle, des cours et des manuels de morale.

On se propose ici seulement de faire connaître le travail de critique et de reconstitution opéré par nos nouveaux moralistes et à proposer quelques modestes remarques sur la valeur, l’importance et les résultats de ce travail. Mais pour en bien saisir toute la portée, le rappel de quelques faits historiques ne sera pas inutile.


I

Le christianisme a été, de l’aveu de tous, l’instituteur, dans notre Occident, de la morale moderne. Les prédicateurs du christianisme enseignèrent aux Gallo-Romains et aux Barbares