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Napoléon eut un accès de colère froide qui ne se trahit que par la contraction de ses traits. Il reprit vite son calme, et l’Empereur se refit le capitaine d’artillerie du siège de Toulon. D’après ses ordres, les outils du parc, des falots, des torches furent distribués aux canonniers qui commencèrent à élargir la ravine. Lui-même, un falot à la main, indiquait les parois de roche à entamer et dirigeait les travailleurs. Ces soldats étaient à demi morts de fatigue, mais la présence et l’acte de Napoléon mettant pour ainsi dire la main à l’œuvre les exaltaient. Ils piochaient et taillaient sans relâche, sapaient avec ardeur, tout en ne se gênant pas pour exprimer leur surprise indignée que l’Empereur fût contraint de remplacer ses officiers. Il resta jusqu’à ce que les premières pièces, hissées chacune par douze chevaux, eussent atteint les crêtes du Landgrafenberg.

Il remonta alors à son bivouac, parcourant la ligne des avant-postes, en compagnie de Suchet, inspecta de nouveau les lignes ennemies qui lui parurent plus nombreuses qu’au jour, car il pouvait distinguer désormais des feux multiples vers Kapellendorff. Il s’avança si loin qu’il dépassa la ligne des sentinelles. Comme il revenait, un petit poste voyant des ombres s’avancer du côté où se trouvait l’ennemi tira dans cette direction avant que l’Empereur eût pu se faire reconnaître. Rentré dans sa cabane, il dicta à Berthier les dispositions de marche pour le lendemain matin à communiquer aux commandans de corps d’armée, puis il dormit quelques instans, mais sans se coucher, assis sur une chaise, les pieds étendus vers les tisons qui brûlaient dans le foyer improvisé. Bientôt réveillé, il fit appeler le maréchal Lannes et lui donna ses dernières instructions ; puis il parcourut derechef le bivouac, se glissant pour ainsi dire entre les lignes. Les soldats de Lannes et de la Garde avaient, à ce qu’il semble, presque tous passé la nuit debout, faute de place pour s’étendre. L’espace était si resserré que la poitrine des hommes de chaque régiment touchait presque le dos de ceux du régiment précédent. L’Empereur avait dû imposer aux troupes cette gêne douloureuse pendant la nuit pour pouvoir à l’aube les lancer du plateau en forces sans embarras ni perte de temps. Les soldats semblaient comprendre son dessein, ils étaient gais. Et « jamais, dit Victor, Sa Majesté n’avait paru plus calme ni plus satisfaite. »

Tauenzien qui bivouaqua à Closewitz et Hohenlohe qui