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ondulations, leurs bois, leurs champs, leurs vignes et leurs nombreux villages : face au Landgrafenberg, à 1 000 mètres, Lutzeroda, Vierzenheiligen, Krippendorf et Altengonna : à l’est, le grand bois de Closewitz fermait l’horizon du côté de Löbstedt et de Zwätsen. Il y avait une chaîne de tirailleurs en avant de Lutzeroda et de Closewitz qui paraissaient fortement occupés, des petits postes à la lisière des bois d’Isserstedt et de Closewitz ; et, sur le Dornberg, mamelon situé au nord de Lutzeroda et de Closewitz, on pouvait distinguer un camp nombreux d’infanterie et de cavalerie.

L’Empereur vit tout de suite la force que lui donnerait pour la journée du lendemain cette belle position, véritable tête de front par où son armée déboucherait sur les plateaux. Le Landgrafenberg était la porte du champ de bataille. Il commanda à Lannes de faire monter sans tarder sur ce point tout le 5e corps avec l’artillerie et la cavalerie ; même ordre fut transmis au maréchal Lefebvre, commandant la Garde à pied dont la tête de colonne approchait d’Iéna.

On avait préparé le logement de l’Empereur au château d’Iéna, mais il préféra bivouaquer au milieu de ses troupes, comme la veille d’Austerlitz. La nouvelle, vite connue des soldats, les mit en joie. Les grenadiers du 40e de ligne, désignés pour garde à l’Empereur sur le Landgrafenberg, s’avisèrent de lui dresser un abri. En moins d’une heure, ils construisirent une cabane assez confortable avec des branches de bouleaux et des paillassons qui servaient à protéger les vignes ; un trou creusé dans le sol forma le foyer. Napoléon soupa frugalement vers huit heures dans cette hutte avec plusieurs officiers généraux.

À la nuit les deux divisions d’infanterie de Lannes et une partie de l’infanterie de la Garde s’étaient déjà massées sur le plateau. Mais l’artillerie dont l’Empereur avait jugé l’ascension possible à grands renforts de chevaux ne paraissait point. Il voulut s’informer lui-même, voir de ses propres yeux. Il descendit vers Iéna et rencontra les batteries de Suchet arrêtées dans un ravin que l’obscurité avait fait prendre pour un chemin et qui était si resserré que les fusées des essieux portaient des deux côtés sur les rochers. Une file de près de cent voitures se trouvait ainsi immobilisée, ne pouvant plus ni avancer ni reculer. Le général commandant l’artillerie et nombre d’officiers avaient quitté les batteries sans doute pour aller souper à Iéna.