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IV. — LA VEILLÉE D’IÉNA

La ville d’Iéna, située sur la rive gauche de la Saale, est dominée au Nord et à l’Ouest par de vastes plateaux onduleux qui s’étendent de la Saale à l’Ilm, et dont les plus hautes sommités (360 mètres d’altitude) s’élèvent tout proche au nord de la petite cité en, pentes très roides d’un accès rude et difficile. « La montagne est rapide comme le toit d’une maison, » disait le grenadier Coignet qui l’avait gravie avec sa charge réglementaire. » Au pied de ces monts appelés les Langrafenbergen, la route d’Iéna à Weimar s’engage entre des escarpemens dans les gorges du Muhlthal. Sauf un chemin étroit qui gravit en serpentant les rampes occidentales du Windknollen et atteint une espèce de petit col s’ouvrant entre ce sommet et les hauteurs de Cospeda, et sauf aussi deux sentiers presque abrupts qui montent directement de la vallée, le défilé du Muhlthal est la seule voie donnant accès aux plateaux d’au-delà des Landgrafenbergen. Encore cette route fort resserrée présente-t-elle de grandes difficultés et de grands périls pour le débouché d’une armée devant l’ennemi.

Le prince de Hohenlohe qui connaissait ce terrain ne prit donc pas alarme de l’occupation par les Français du vallon d’Iéna, d’où ils auraient la plus grande peine à déboucher. La pensée lui vint bien sans doute que l’ascension directe du Landgrafenberg serait pour eux un moyen plus prompt et plus avantageux d’atteindre les plateaux. Mais il écarta cette crainte comme trop chimérique. En raison des escarpemens des Landgrafenbergen, il jugeait cette escalade impraticable à une armée avec de l’artillerie, et, en conséquence, il ne pouvait admettre que cette cime qu’il présumait inaccessible « put devenir le point de départ d’une attaque sérieuse. »

Napoléon allait, à coups de canon, lui démontrer son erreur. Arrivé de Géra à Iéna vers trois heures et demie, par une marche de onze lieues, l’Empereur gravit aussitôt le Landgrafenberg où se trouvait Lannes avec les tirailleurs du 40e de ligne. Il descendit de cheval, prit sa lunette et commença d’inspecter le terrain et l’ennemi. Le temps était redevenu beau et clair. Les premiers plateaux, en contre-bas d’une quinzaine de mètres en moyenne, lui apparurent dans toute leur étendue avec leurs