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combinaisons les plus hasardées, l’armée prussienne se trouve dès le début dans une situation assez critique. » Il écrit à Talleyrand : « Les affaires vont ici tout à fait comme je les avais calculées, il y a deux mois, à Paris, marche par marche, presque événement par événement. Je ne me suis trompé en rien… Il se passera d’ici à deux ou trois jours des affaires intéressantes ; mais tout paraît me confirmer dans l’opinion que les Prussiens n’ont presque aucune chance pour eux. Leurs généraux sont de grands imbéciles. On ne conçoit pas comment le duc de Brunswick, auquel on accorde des talens, dirige d’une manière aussi ridicule les opérations de cette armée. »

Mais, tout en exprimant sa satisfaction de la pauvre stratégie des généraux prussiens et du succès de ses premières opérations, l’Empereur est cependant hésitant. De même que Brunswick n’a pas de renseignemens certains sur l’objectif des Français et sur la direction exacte de leur marche, de même Napoléon n’en est qu’aux suppositions sur les desseins auxquels se fixera l’état-major prussien. Il a écrit à Soult : « Quelque chose que fasse l’ennemi, s’il m’attaque, je serai enchanté ; s’il se laisse attaquer, je ne le manquerai pas ; s’il file par Magdebourg, vous serez avant lui à Dresde. » Mais l’ennemi attaquera-t-il ? se laissera-t-il attaquer ? filera-t-il vers la Prusse ? Voilà ce que l’Empereur voudrait bien savoir au plus tôt. Dans ses nombreuses lettres à ses commandans de corps d’armée, il les presse de lui donner des nouvelles de l’ennemi. Il faut « savoir positivement quels sont les mouvemens de l’ennemi, » dit-il à Murat. « Faites-moi donc connaître ce que vous avez devant vous, » écrit-il à Soult. Il fait écrire à Davout d’« envoyer des coureurs aussi loin que possible, tant pour avoir des nouvelles de l’ennemi que pour faire des prisonniers ; » à Augereau : « Envoyez des coureurs en avant pour avoir des nouvelles de l’ennemi ; » à Lannes : « Prenez tous les renseignemens possibles pour savoir ce que fait l’ennemi depuis trois jours. »

Pendant ces trois jours, les idées de l’Empereur ont changé sans cesse. Le matin du 10 octobre, il a espéré une grande bataille avec un déploiement de 100 000 hommes entre Schleitz et Saalfeld. Un peu plus tard dans la matinée, il a prévu une concentration des Prussiens à Géra ; dans la nuit du 11 au 12, il pense à un retour offensif des Prussiens d’Erfurth sur