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également belliqueux, surtout depuis les probabilités de paix, le prince Louis-Ferdinand, les officiers généraux, des ministres même, dont Hardenberg, engagèrent le Roi à résister. Au conseil, on se montra d’abord nettement hostile à la ratification. Puis, sur les instances de Haugwitz, on modifia le traité, et lui-même fut chargé de le porter à Paris sous cette nouvelle forme. Mais dans l’intervalle Napoléon en avait fini avec l’Autriche par le traité de Presbourg. Loin d’accepter les modifications demandées par le cabinet de Berlin, il posa comme nouvelle condition que le gouvernement prussien fermerait aux bâtimens anglais les ports et les fleuves de la mer du Nord. Haugwitz était désespéré, mais il voyait le spectre de la guerre. Il signa et, chose plus surprenante, le roi Frédéric-Guillaume, à qui ce traité fut apporté le 23 février, le ratifia dès le 26, la crainte d’une rupture immédiate le faisant passer outre à ses scrupules et aux représentations indignées de ses en tours.

Mais, la paix faite, ceux-ci ne désarmèrent pas. À la cour, l’exaspération était extrême. Ce traité, disait-on, déshonore la Prusse. La belle reine Louise se fit l’âme du parti de la guerre. Elle ne parlait, elle ne rêvait que d’armées et de combats. En son ardeur militaire, elle demanda au Roi de la nommer colonel du régiment de Bayreuth, qui prit le nom de dragons de la Reine. Non contente d’en porter l’uniforme et de parader vêtue en Bellone, dans des revues et des prises d’armes, elle voulait s’occuper de l’administration de son régiment : « Je vous suis bien obligée, écrit-elle au général Kalkreuth, de m’avoir envoyé le rapport de mon régiment. J’accepterai volontiers les feuilles de rapport, et j’espère recevoir bientôt le livre du régiment afin que je puisse prendre connaissance de toutes les nouvelles. — Votre reine affectionnée. » Pour le jour de sa fête, elle imagina une scène théâtrale. Quatorze enfans, costumés en grenadiers du grand Frédéric, récitèrent devant elle un poème guerrier où l’ombre du vainqueur de Rosbach lui confiait l’honneur, la puissance et la fortune de la Prusse. À ces démonstrations publiques, la Reine ajoute naturellement des intrigues occultes. Chaque jour elle correspond ou s’entretient avec Hardenberg, avec Wittgenstein, avec la duchesse héréditaire de Weimar, sœur du Tsar, avec la princesse de Cobourg, femme du grand-duc Constantin, avec Alopéus, ambassadeur de Russie. Elle écrit même à l’empereur de Russie qu’elle