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au moment précis de son transbordement dans le véhicule. Le convoi était indemne, et le commandant de la colonne dut en éprouver une satisfaction sans mélange, car sa jonction avec le général Dalbiez lui garantissait, pour sa dernière étape, une absolue tranquillité.

La traversée de l’oued Miqquès sur un beau pont en briques, datant du grand siècle arabe, s’effectua sans incident. Tandis que la colonne Dalbiez établissait son bivouac sur la rive droite du torrent, au débouché du pont, la colonne Gouraud alla s’installer non loin de là, sur le plateau rocailleux de Nzalet-el-Oudaïa. Quelques misérables cases abandonnées firent les frais d’une illumination aussi brillante que celle de la veille, allumée cette fois encore par les goumiers dont le dressage militaire n’avait pas réprimé les instincts pillards. Et pendant que tous, officiers et soldats, se félicitaient d’arriver le lendemain au terme provisoire de leurs fatigues, un orage aussi violent qu’imprévu se préparait dans le ciel serein. Bientôt, le vent qui souffle en tempête bouscule les tentes, emporte les toiles ; une averse diluvienne éteint les feux des cuisines, noie les denrées de la distribution, transforme le bivouac en marais boueux. Cet orage, insolite dans une saison sèche bien établie, n’était pas une rare anomalie ou le signe de la colère d’Allah. Dans la journée, l’artillerie avait tiré environ 250 coups de canon ; et l’ébranlement des couches atmosphériques dans l’étroite vallée où la colonne avait combattu suffisait pour expliquer le phénomène.

Mais l’orage s’est apaisé. La lune brille maintenant dans un ciel sans nuages, les troupes dorment d’un sommeil lourd. Seuls, les sentinelles et les petits postes, qui veillent en grelottant dans la fraîcheur de la nuit, attendent une attaque improbable de l’ennemi. À l’aube, le clairon soupire un appel monotone et lent : les notes gaies du « réveil en campagne » sont proscrites par les nouveaux règlemens et le « coup de langue » a remplacé les motifs alertes que les troupiers accompagnaient de refrains gaulois. Le camp grouille de chameaux que l’on désentrave, de chevaux qu’on attelle, d’hommes qui abattent les tentes, cherchent en grommelant des objets introuvables, et se rassemblent lentement. Puis, sur la route indécise, les troupes s’échelonnent, et s’éloignent dans la direction de Fez.

Les blessés de la veille, trop nombreux pour les deux